Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/495

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au parcours de l’espace accoutumé. En comparant cette différence de temps, ne dirions-nous pas que l’un est double de l’autre, alors même que la course du soleil d’orient en orient serait tantôt plus longue, tantôt plus courte de moitié ? Qu’on ne vienne donc plus me dire : Le temps, c’est le mouvement des corps célestes. Quand le soleil s’arrêta à la prière d’un homme (Josué, X, 13), pour lui laisser le loisir d’achever sa victoire, le temps s’arrêta-t-il avec le soleil ? Et n’est-ce point dans l’espace de temps nécessaire que le combat se continua et finit ? Je vois donc enfin que le temps est une sorte d’étendue. Mais n’est-ce pas une illusion ? suis-je bien certain de. le voir ? Ô vérité, ô lumière ! éclairez-moi.

Chapitre XXIV, Le temps est-il la mesure du mouvement ?

31. Si l’on me dit : Le temps, c’est le mouvement des corps, m’ordonnez-vous de le croire ? Non, vous ne l’ordonnez pas. Nul corps ne saurait se mouvoir que dans le temps. Vous le dites, et je l’entends ; mais que ce mouvement soit le temps, c’est ce que je n’entends pas ; ce n’est pas vous qui le dites. Lorsqu’en effet un corps se meut, c’est par le temps que je mesure la durée de ce mouvement, depuis son origine jusqu’à sa fin. Si je ne l’ai pas vu commencer, et si sa durée ne me permet pas de le voir finir, il n’est point en ma puissance de le mesurer, si ce n’est peut-être du moment où j’ai commencé à celui où j’ai cessé de le voir. Si je l’ai vu longtemps, j’affirme la longueur du temps sans la déterminer ; car cette détermination suppose un rapport de différence ou d’égalité. Si, supposé un mouvement circulaire, nous pouvions remarquer le point de l’espace où prend sa course et où la termine le corps mobile, ou l’une de ses parties, nous pourrions dire en combien de temps s’est accompli de tel point à tel autre, le mouvement de ce corps ou de l’une de ses parties.

Ainsi le mouvement d’un corps étant distinct de la mesure de sa durée, peut-on chercher encore à qui appartient le nom de temps ? Souvent ce corps se meut d’un mouvement inégal, souvent il demeure en repos, et le temps n’est pas moins la mesure de son repos que de son mouvement. Et nous disons : Son immobilité a duré autant, deux ou trois fois plus, deux ou trois fois moins que son mouvement ; et, nous le disons, d’après une mesure exacte ou approximative. Donc le mouvement des corps n’est pas le temps.

Chapitre XXV, Allumez ma lampe, Seigneur, éclairez mes ténèbres.

32. Et je vous le confesse, Seigneur, j’ignore encore ce que c’est que le temps ; et pourtant, Seigneur, je vous le confesse aussi, je n’ignore point que c’est dans le temps que je parle, et qu’il y a déjà longtemps que je parle du temps, et que ce longtemps est une certaine teneur de durée. Eh ! comment donc puis-je le savoir, ignorant ce que c’est que le temps ? Ne serait-ce point que je ne sais peut-être comment exprimer ce que je sais ? Malheureux que je suis, j’ignore même ce que j’ignore ! Mais vous êtes témoin, Seigneur, que le mensonge est loin de moi. Mon cœur est comme ma parole. « Allumez ma lampe, Seigneur mon Dieu, éclairez mes ténèbres ( Ps. XVII, 25). »

Chapitre XXVI, Le temps n’est pas la mesure du temps.

33. Mon âme ne vous fait-elle pas un aveu sincère quand elle déclare en votre présence qu’elle mesure le temps ? Est-il donc vrai, mon Dieu, que je le mesure, sans connaître ce que je mesure ? Je mesure le mouvement des corps par le temps, et le temps lui-même, ne saurais-je le mesurer ? Et me serait-il possible de mesurer la durée et l’étendue d’un mouvement, sans mesurer le temps où il s’accomplit ?

Mais sur quelle mesure puis-je apprécier le temps même ? Un temps plus long est-il la mesure d’un plus court, comme la coudée est la mesure d’une solive ? comme une syllabe longue nous paraît être la mesure d’une brève, quand nous disons que l’une est double de l’autre ; comme la longueur d’un poème s’évalue sur la longueur des vers, la longueur des vers sur celle des pieds, la longueur des pieds sur celle des syllabes, et les syllabes longues sur les brèves : évaluation qui ne repose pas sur l’étendue des pages, car elle serait alors mesure d’espace ; et non plus mesure de temps. Mais lorsque les paroles passent, en les prononçant, nous disons : Ce poème est long, il se (483) compose