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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/501

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dans votre sagesse née de votre substance, que vous avez créé, créé quelque chose de rien.

Vous avez fait le ciel et la terre, sans les tirer de vous. Car ils seraient égaux à votre Fils unique, et par conséquent à vous ; et ce qui ne procède pas de vous ne saurait, sans déraison, être égal à vous. Existait-il donc hors de vous, ô Dieu, trinité une, unité trinitaire, existait-il rien dont vous les eussiez pu former ? C’est donc de rien que vous avez fait le ciel et la terre, tant et si peu. Artisan tout puissant et bon de toute espèce de biens, vous avez fait le ciel si grand, la terre si petite. Vous étiez ; et rien avec vous dont vous pussiez les former tous deux ; l’un si près de vous, l’autre si près du néant ; l’un qui n’a que vous au-dessus de lui, l’autre qui n’a rien au-dessous d’elle.

Chapitre VIII, Matière primitive faite de rien.

8. Mais ce ciel du ciel est à vous, Seigneur ; et cette terre, que vous avez donnée aux enfants des hommes ( Ps. CXIII, 15) pour la voir et la toucher, n’était pas alors telle que nos yeux la voient, et que notre main la touche ; elle était invisible et informe, abîme que nulle lumière ne dominait. « Les ténèbres étaient répandues sur l’abîme(Gen. I, 2) » c’est-à-dire nuit plus profonde qu’au plus profond de l’abîme aujourd’hui. Car cet abîme des eaux, visible maintenant, reçoit dans ses gouffres mêmes un certain degré de lumière sensible aux poissons et aux êtres animés qui rampent dans son sein. Mais tout cet abîme primitif était presque un néant dans cette entière absence de la forme. Toutefois, il était déjà quelque chose qui pût la recevoir. Ainsi donc vous formez le monde d’une matière informe, convertie par vous de rien en un presque rien, dont vous faites sortir ces chefs-d’œuvre qu’admirent les enfants des hommes.

Chose admirable, en effet, que ce ciel corporel, ce firmament étendu entre les eaux et. les eaux, œuvre du second jour qui suivit la naissance de la lumière ; création d’un mot « Qu’il soit ! et il fut (Gen. I, 6, 7) ; » firmament nommé par vous ciel, mais ciel de cette terre, de cette mer que vous fîtes le troisième jour, en douant d’une forme visible cette matière informe que vous aviez créée avant tous les jours. Un ciel était déjà, qui les avait précédés, mais c’était le ciel de nos cieux : car, dans le principe, vous créâtes le ciel et la terre. Pour cette terre dès lors créée, ce n’était qu’une matière informe, puisqu’elle était invisible, sans ordre, abîme ténébreux. C’est de cette terre obscure, inordonnée, de cette informité, de ce presque rien, que vous deviez produire tous les êtres par qui subsiste ce monde instable et changeant. Et c’est en ce monde que commence à paraître la mutabilité qui nous donne le sentiment et la mesure des temps ; car ils naissent de la succession des choses, de la vicissitude et de l’altération des formes dont l’origine est cette matière primitive, cette terre invisible.

Chapitre IX, Le ciel du ciel.

9. Aussi le Maître de votre grand serviteur, en racontant que vous avez créé dans le principe le ciel et la terre, l’Esprit-Saint ne dit mot des temps, est muet sur les jours. Car, ce ciel du ciel, que vous avez fait dans le principe, est une créature spirituelle, qui sans vous être coéternelle, ô Trinité, participe néanmoins à votre éternité. L’ineffable bonheur de contempler votre présence arrête sa mobilité, et depuis son origine, invinciblement attachée à vous, elle s’est élevée au-dessus des vicissitudes du temps. Et cette terre invisible, informe, n’a pas été non plus comptée dans l’œuvre des jours ; car, où l’ordre, où la forme ne sont pas, rien n’arrive, rien ne passe, et dès lors point de jours, point de succession de temps.

Chapitre X, Invocation.

10. Ô vérité, lumière de mon cœur ! ne laissez pas la parole à mes ténèbres. Entraîné au courant de l’instabilité, la nuit m’a pénétré ; mais c’est du fond de ma chute que je me suis senti renaître à votre amour. Egaré, j’ai retrouvé votre souvenir ; j’ai entendu votre voix me rappeler ; et le bruit des passions rebelles, me permettait à peine de l’entendre. Et me voici, maintenant, tout en nage, hors d’haleine, revenu à votre fontaine sainte. Oh ! ne souffrez pas qu’on m’en repousse. Que je m’y désaltère, que j’y puise la vie, que je ne sois pas ma vie à moi-même. De ma propre vie j’ai mal vécu, j’ai été ma mort ; en vous je (489) revis.