Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/503

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sans changer, malgré sa mutabilité naturelle, et jouit de votre immuable éternité ; et l’autre si informe, que, dépourvue de l’être suffisant pour accuser le mouvement ou le repos, elle n’offre aucune prise à la domination du temps. Mais vous ne l’avez pas laissée dans cette informité, puisque dans le principe, avant les jours, vous avez formé ce ciel et cette terre, dont je parle.

« Or, la terre était invisible, informe, et les ténèbres couvraient l’abîme ( Gen. I, 2). » Par ces paroles s’insinue peu à peu, dans les esprits qui ne peuvent concevoir la privation de la forme autrement que comme l’absence de l’être, la notion de cette informité, germe d’un autre ciel, d’une terre visible et ordonnée, source des eaux transparentes, et de toutes les merveilles que la tradition comprend dans l’œuvre des jours, parce que les évolutions de formes et de mouvements, prescrites à leur nature, la soumettent aux vicissitudes des temps.

Chapitre XIII, Créatures spirituelles ; matière informe.

16. Lorsque la voix de votre Ecriture parle ainsi : « Dans le principe, Dieu créa le ciel et « la terre : or, la terre était invisible, informe ; et les ténèbres couvraient la face de « l’abîme (Ibid. 2) ; » sans assigner aucun jour à cette création ; je pense que par ce ciel, ciel de nos cieux, on doit entendre le ciel spirituel où l’intelligence n’est qu’une intuition qui voit tout d’un coup, non pas en partie, ni en énigme, ou comme en un miroir, mais de pleine évidence, face à face ( I Cor. XIII, 12), d’un regard invariable et fixe ; claire vue, sans succession, sans instabilité de temps ; et par cette terre, la terre invisible et informe que le temps ne pouvait atteindre. Ceci, puis cela, telle est la pâture de la vicissitude ; mais le changement peut-il être où la forme n’est pas ? C’est donc, suivant moi, de ces deux créatures, produites, l’une dans la perfection, l’autre dans l’indigence de la forme ; ciel d’une part, mais ciel du ciel ; terre de l’autre, mais terre invisible et informe, que l’Ecriture dit sans mention de jour : « Dans le « principe, Dieu fit le ciel et la terre. » Car elle dit aussitôt quelle terre. Et comme elle rapporte au second jour la création du firmament, qui fut appelé ciel, elle insinue la distinction de cet autre ciel né avant les jours.

Chapitre XIV, Profondeur des écritures.

17. Etonnante profondeur de vos Ecritures ! leur surface semble nous sourire, comme à des petits enfants ; mais quelle profondeur, ô mon Dieu ! insondable profondeur ! A la considérer, je me sens un vertige d’effroi, effroi de respect, tremblement d’amour ! Oh ! de quelle haine je hais ses ennemis ! Que ne les passez-vous au fil de votre glaive doublement acéré, afin de les retrancher du nombre de vos ennemis ? Que j’aimerais les voir ainsi frappés de mort à eux-mêmes pour vivre à vous ! Il en est d’autres, non plus détracteurs, mais admirateurs respectueux de la Genèse, qui me disent : « Le Saint-Esprit, qui a dicté ces paroles à Moïse, son serviteur, n’a pas voulu qu’elles fussent prises dans le sens où tu les interprètes, mais dans celui-ci, dans le nôtre. » Seigneur, notre Dieu, je vous prends pour arbitre ! voilà ma réponse.

Chapitre XV, Vérités constantes, malgré la diversité des interprétations.

18. Taxerez-vous de fausseté ce que la vérité m’a dit d’une voix forte à l’oreille du cœur ; tout ce qu’elle m’a révélé de l’éternité du Créateur, à savoir que sa substance ne varie point dans le temps et que sa volonté n’est point hors de sa substance ? Volonté sans succession, une, pleine et constante ; sans contradiction et sans caprice, car le caprice, c’est le changement, et ce qui change n’est pas éternel. Or, notre Dieu est l’éternité même. Démentirez-vous encore la même voix, qui m’a dit : L’attente des choses à venir devient une vision directe quand elles sont présentes. Sont-elles passées ? cette vision n’est plus que mémoire. Mais toute connaissance qui varie est muable ; et ce qui est muable n’est pas éternel. Or, notre Dieu est l’éternité même. Je rassemble, je réunis ces vérités, et vois que ce n’est point une survenance de volonté en Dieu, qui a créé le monde, et que sa science ne souffre rien d’éphémère.

19. Contradicteurs, qu’avez-vous à répondre ? Ai-je avancé une erreur ? — Non, — Quoi (491) donc ?