Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/526

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les misères de la vie. Le pieux Onésiphore était une de ces charitables terres, et vous fîtes miséricorde à toute sa maison, parce qu’il assista souvent votre serviteur Paul, et ne rougit jamais de ses chaînes (II Tim. I, 16). Tels étaient les frères qui se couvrirent des mêmes fruits, en lui apportant de Macédoine de quoi fournir à sa détresse ( II Cor. XI, 9). Et avec quelle douleur il déplore la stérilité des arbres qui ne lui donnèrent point le fruit qu’ils lui devaient ! « Au temps de ma première défense, personne ne me vint en aide, mais tous m’abandonnèrent. Dieu leur pardonne II Tim. IV, 16) ! » Des secours ne sont-ils pas bien dus aux maîtres spirituels qui initient notre raison à l’intelligence des saints mystères ? Ces secours sont les fruits que la terre doit à l’homme ; ils leur sont dus comme âme vivante qui anime la sève reproductive de leurs vertus ; ils leur sont dus comme oiseaux célestes, dont la voix s’est répandue aux extrémités de la terre ( Ps. XVIII, 5) pour l’ensemencer de bénédictions.

Chapitre XXVI, Le fruit des œuvres de miséricorde est dans la bonne volonté.

39. Or, ces fruits ne sont un aliment que pour ceux qui y trouvent une joie sainte, et cette joie n’est pas aux esclaves « asservis au culte de leur ventre ( Philip. III, 19) » Et même en ceux qui donnent, ce n’est pas l’aumône qui est le fruit, c’est l’intention de l’aumône. Aussi je comprends la joie de ce grand apôtre, qui vivait pour son Dieu et non pour son ventre, je la comprends bien ; mon âme sympathise à cette joie. Il venait de recevoir par Epaphrodite les dons des Philippiens : mais est-ce de ces dons qu’il se réjouit ? Non, je vois la cause de sa joie, et cette cause est le fruit qu’il savoure. Car il dit en vérité : « J’ai ressenti une joie ineffable dans le Seigneur, de ce que votre amour pour moi a commencé de refleurir ; non que cet amour se fût flétri en vous, mais il était voilé par la tristesse (Philip. IV, 10) » Une longue tristesse les avait donc desséchés ; et comme de stériles rameaux, ils ne portaient plus de fruits charitables ; et il se réjouit de les voir refleurir ; il se réjouit non pour lui-même des secours dont ils ont assisté son indigence ; car il ajoute : « Ce n’est pas qu’il me manque rien ; dès longtemps j’ai appris à me contenter de l’état où je me trouve ; je sais vivre pauvrement, je sais vivre dans l’abondance. Je suis fait à tout ; je suis à l’épreuve de tout : de la faim et des aliments, de l’opulence et de la disette. Je peux tout en Celui qui me fortifie ( Philip. IV, 11, 13). »

40. Quelle est donc la cause de ta joie, ô grand Paul ? Dis, quelle est cette joie ? Quel est ce fruit dont tu goûtes la saveur, « homme renouvelé par la connaissance de Dieu, à l’image de ton Créateur ? » Ame vivante, peuplée de vertus ! Langue aux ailes de feu qui proclame dans le monde les divins mystères ! C’est bien aux âmes comme la tienne que l’on doit cette nourriture d’amour. Dis, de quel fruit te nourris-tu ? de joie ? Ecoutons-le : « Oui, dit-il, oui, vous avez bien fait d’entrer en communion avec mes souffrances. » Voilà sa joie, voilà sa nourriture. Ils ont bien fait, non parce qu’il a eu quelque relâche à ses angoisses, lui qui vous disait : « Dans la tribulation vous avez dilaté mon cœur ( Ps. IV, 2), » lui qui sait souffrir l’abondance et la disette, en vous son unique force. « Vous savez, ajoute-t-il, vous savez, Philippiens, que depuis mon départ de Macédoine pour les premières prédications de l’Evangile, nulle autre Eglise n’a eu communication avec moi en ce qui est de donner et de recevoir ; je n’ai rien reçu que de vous seuls, qui m’avez envoyé par deux fois à Thessalonique de quoi subvenir à mes besoins (Philip. IV, 14-16). »

Et maintenant il se réjouit de leur retour aux bonnes œuvres ; il se réjouit des nouveaux fruits et de la nouvelle fertilité du champ spirituel.

41. Serait-ce donc dans son intérêt ? car il dit : « Vous avez envoyé à ma détresse ? » La source de sa joie serait-elle là ? Non, non ! Et comment le savons-nous ? Lui-même nous l’apprend : « Ce n’est pas le don, c’est le fruit que je cherche ( Ibid. 17). » J’ai appris de vous, mon Dieu, à distinguer entre le don et le fruit. Le don, c’est l’objet que donne celui qui assiste une indigence : c’est l’argent, la nourriture, le breuvage, le vêtement, l’abri, tout secours enfin : le fruit, c’est la volonté droite et sincère de celui qui donne. Car le divin Maître ne se borne pas à dire : « Celui qui reçoit un prophète ; » il ajoute : « en qualité de prophète ; » « celui qui reçoit un juste, » mais « en qualité de juste, recevront la récompense, (514) l’un du prophète, l’autre