Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/101

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dans des commentaires, selon la coutume générale, j’expose les diverses interprétations, afin que chacun suive celle qu’il voudra. Vous avez cru cela, je pense, pour la littérature profane et pour les divins livres, et vous l’approuverez sans doute.
6. Cette interprétation, donnée d’abord par Origène, dans son dixième livre des Stromates consacré à l’explication de l’Épître de Paul aux Galates, et ensuite adoptée par les autres interprètes, a eu surtout pour but de répondre aux blasphèmes de Porphyre ; celui-ci reproche à Paul d’avoir osé blâmer en face Pierre, le prince des apôtres ; d’avoir osé le convaincre d’avoir mal fait, c’est-à-dire d’être tombé dans l’erreur où il était lui-même, lui Paul qui en reprenait un autre. Que dirai-je de Jean, qui vient d’occuper le siège épiscopal de Constantinople[1], et qui a composé, sur cet endroit de l’épître de Paul, un livre très-étendu, où il a suivi le sentiment d’Origène et des anciens ? Si donc vous m’accusez d’erreur, souffrez, je vous prie, que je me trompe avec de tels hommes ; et comme vous voyez que j’ai plusieurs partisans de mon erreur, vous devez au moins produire un partisan de votre vérité. Voilà pour l’explication du passage de l’Épître aux Galates.
7. Mais, pour ne pas avoir l’air de n’opposer à vos raisons que de nombreux témoignages, d’éluder la vérité à la faveur de noms illustres, et de ne pas oser combattre, j’exposerai brièvement des exemples tirés des Écritures. Dans les Actes des apôtres, une voix se fit entendre à Pierre : « Lève-toi, Pierre, disait la voix, tue et mange, » c’est-à-dire mange de toutes sortes d’animaux à quatre pieds, de reptiles de la terre et d’oiseaux du ciel. Ces paroles montrent que nul homme n’est impur selon la nature, mais que tous sont également appelés à l’Évangile du Christ. À cela Pierre répondit : « À Dieu ne plaise, car je n’ai jamais rien mangé d’impur ni de souillé. » Et une voix du ciel se fit entendre une seconde fois : « Ce que Dieu a purifié, toi ne l’appelle pas impur. » C’est pourquoi il alla à Césarée, et, étant entré chez Corneille, « ouvrant la bouche, il dit : En vérité j’ai trouvé que Dieu ne fait pas acception de personnes, mais qu’en toute nation, celui qui le craint et opère la justice, lui est agréable. » Enfin, « le Saint-Esprit descendit sur eux, et les fidèles circoncis qui étaient venus avec Pierre s’étonnèrent que la grâce de l’Esprit-Saint se fût aussi répandue sur les gentils. Alors Pierre répondit : Est-ce que quelqu’un peut refuser l’eau du baptême à ceux qui ont reçu comme nous l’Esprit-Saint ? Et il ordonna qu’ils fussent baptisés au nom de Jésus-Christ[2]. Or, les apôtres et les frères qui étaient en Judée apprirent que les gentils avaient reçu la parole de Dieu. Pierre étant allé à Jérusalem, les fidèles circoncis disputaient contre lui, disant : « Pourquoi êtes-vous entré chez des hommes incirconcis, et pourquoi avez-vous mangé avec eux ? » Pierre leur ayant exposé toutes ses raisons, termina son discours par ces mots : « Si donc Dieu leur a donné la même grâce qu’à nous qui avons cru en Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui étais-je, moi, pour m’opposer à Dieu ? Ayant entendu ces paroles, ils se turent, et puis ils glorifièrent Dieu en disant : Dieu a donc donné la pénitence aux gentils pour les conduire à la vie[3]. » De plus, longtemps après, Paul et Barnabé étant allés à Antioche, et l’Église ayant été assemblée, ils racontèrent les « grandes choses que Dieu a faites avec eux et comment il avait ouvert la porte de la foi aux gentils[4] ; quelques-uns, venus de la Judée, instruisaient les frères et disaient : Si vous n’êtes pas circoncis selon la coutume de Moïse, vous ne pouvez pas vous sauver. Un mouvement assez considérable ayant donc éclaté contre Paul et Barnabé, ils résolurent de monter à Jérusalem, » tant ceux qui étaient accusés que ceux qui accusaient, « vers les apôtres et les prêtres, pour cette question. Quand ils furent arrivés à Jérusalem, on vit s’élever quelques pharisiens qui avaient cru en Jésus-Christ et qui disaient : Il faut les circoncire et leur ordonner de garder la loi de Moïse. Et comme ce mot donnait lieu à une grande discussion, Pierre, » avec sa liberté accoutumée : « Hommes, mes frères, leur dit-il, vous savez qu’il y a longtemps Dieu m’a choisi parmi vous pour que les gentils entendent par ma bouche la parole de l’Évangile et qu’ils croient ; et Dieu qui connaît les cœurs, leur a rendu témoignage, en leur donnant l’Esprit-Saint comme à nous, et n’a fait aucune différence entre eux et nous, purifiant leurs cœurs par la foi. Maintenant pourquoi voulez-vous que Dieu mette sur la tête des disciples un joug que ni nos pères ni nous n’avons pu supporter ? Mais nous croyons que, par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous serons sauvés comme eux. Toute la multitude garda le silence, » et l’apôtre Jacques et tous les prêtres se rangèrent à l’avis de Pierre[5].
8. Ceci ne doit pas être ennuyeux pour le lecteur ; mais doit lui servir, ainsi qu’à moi, à prouver qu’avant l’apôtre Paul, Pierre n’avait pas ignoré, lui, l’auteur même de ce décret, que la loi n’était plus obligatoire après l’Évangile. Enfin l’autorité de Pierre fut si grande, que Paul écrivit dans son épître : « Trois ans après, j’allai à Jérusalem voir Pierre, et je restai quinze jours auprès de lui[6]. » Et plus bas : « Quatorze ans après, je montai de nouveau à Jérusalem avec Barnabé, ayant pris aussi Tite. Or, j’y montai par une révélation, et je leur exposai l’Évangile que je prêche au milieu des gentils. » Paul montrait par là qu’il n’aurait point prêché son Évangile en toute sécurité s’il n’avait été appuyé par le sentiment de Pierre et de ceux qui étaient avec lui. Il ajoute aussitôt : « J’exposai mon Évangile en particulier à ceux qui paraissaient les plus considérables, de peur de courir ou d’avoir couru en vain. » Pourquoi en particulier, et non pas en public ? C’était pour

  1. On sait qu’il en fut injustement banni l’année même où saint Jérôme écrivait cette lettre.
  2. Act. X, 13-48.
  3. Act. XI, 1-18.
  4. Ib. XIV, 26.
  5. Act. XV, 1-12.
  6. Galat. I, 18.