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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/104

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aux juifs à qui Dieu avait donné la loi, par Moïse ; afin qu’ils ne vivent plus dans l’ancienneté de la lettre, mais dans la nouveauté de l’esprit. Paul, qui est l’objet de ce débat, enseigne souvent cette doctrine. Je me bornerai à peu de passages pour être court : « Voilà que, moi Paul, je vous dis que si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous sert de rien. » Et encore : « Vous êtes éloignés du Christ, vous qui cherchez votre justice dans la loi ; vous êtes déchus de la grâce. » Et plus bas : « Si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes plus sous la loi[1]. » On voit par là que celui qui est sous la loi, non point par condescendance comme l’ont cru nos anciens, mais en toute vérité, comme vous le croyez, n’a pas l’Esprit saint. Or, apprenons de Dieu quels sont les préceptes de la loi : « Je leur ai donné, dit-il, des préceptes qui ne sont pas bons, et des justifications où ils ne peuvent trouver la vie[2]. » Nous ne disons pas cela pour condamner, comme Manichée et Marcion, la loi que nous savons être sainte et spirituelle, d’après l’Apôtre[3], mais parce que, la foi étant venue et les temps accomplis, « Dieu a envoyé son Fils né d’une femme et soumis à la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi et de nous rendre enfants d’adoption[4], » afin que nous ne vécussions plus sous le pédagogue, mais sous l’héritier adulte et Seigneur.
15. On lit ensuite dans votre lettre : « Paul n’a pas repris Pierre de ce qu’il suivait les traditions des ancêtres ; si celui-ci avait voulu les suivre, il l’aurait pu sans déguisement et sans inconvenance[5]. » Je vous le dis encore une fois vous êtes évêque, maître des églises du Christ ; il faut prouver la vérité de vos assertions ; prenez quelque juif, devenu chrétien ; qu’il fasse circoncire son nouveau-né, qu’il observe le sabbat, qu’il s’abstienne des viandes que Dieu a créées pour qu’on en use avec action de grâces ; que le quatorzième jour du premier mois, il immole un agneau vers le soir : quand vous aurez fait cela, et vous ne le ferez pas (car je vous sais chrétien et incapable d’un sacrilège), vous condamnerez bon gré mal gré votre sentiment ; et alors vous comprendrez que c’est une œuvre plus difficile de prouver ses propres pensées que de censurer celles d’autrui. De peur que peut-être je ne vous crusse point ou que je ne comprisse pas ce que vous disiez (car souvent un trop long discours manque de clarté, et quand on ne comprend pas on trouve moins à reprendre), vous insistez et vous répétez « Paul avait abandonné ce que les juifs avaient de mauvais. Quel est ce côté mauvais des juifs que Paul avait rejeté ? C’est que, dit-il, ignorant la justice de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ils ne sont point soumis à la justice de Dieu[6]. Ensuite après la passion et la résurrection du Christ, le sacrement de la grâce ayant été donné et manifesté selon l’ordre de Melchisédech, leur tort était de croire qu’il fallait observer les anciennes cérémonies, par nécessité de salut, et non point par une simple continuation de la coutume ; cependant si ces cérémonies n’avaient jamais été de nécessité de salut, c’est sans fruit et vainement que les Machabées auraient souffert pour elles le martyre. Enfin, les juifs persécutaient les chrétiens prédicateurs de la grâce comme des ennemis de la loi. Voilà les erreurs et les vices que Paul repousse comme des pertes et des ordures, pour gagner le Christ[7] ».
16. Vous nous avez appris ce que l’apôtre Paul a rejeté de mauvais dans les Juifs ; apprenez-nous, maintenant ce qu’il en a gardé de bon. « Les cérémonies de la loi, me direz-vous, que les Juifs pratiquent selon la manière de leurs pères, comme elles ont été pratiquées par Paul lui-même sans aucune nécessité de salut[8]. » Je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire par ces mots : sans aucune nécessité de salut. Si elles ne procurent pas le salut, pourquoi les observer ? s’il faut les observer, c’est qu’elles procurent le salut, surtout puisque la pratique de ces cérémonies fait des martyrs. On ne les suivrait pas si elles ne donnaient pas le salut. Ce ne sont pas de ces choses indifférentes entre le bien et le mal, sur lesquelles disputent les philosophes. La continence est un bien, la luxure un mal ; c’est une chose indifférente que de marcher, de se moucher, de cracher ; cela n’est ni bien ni mal ; que vous le fassiez ou non, vous ne serez ni juste ni injuste. Mais il ne saurait être indifférent d’observer les cérémonies de la loi ; c’est bien ou c’est mal. Vous dites que c’est bien, moi je prétends que c’est mal, et mal non-seulement pour les gentils qui ont cru, mais encore pour les juifs. Si je ne me trompe, vous tombez ici dans un péril pour en éviter un autre. Tandis que vous redoutez les blasphèmes de Porphyre, vous rencontrez les pièges d’Ebion, en prescrivant l’observation de la loi aux juifs qui croient ; et comme vous sentez le danger de ce que vous dites, vous vous efforcez de l’adoucir par d’inutiles paroles : « il fallait pratiquer les observations légales sans aucune nécessité de salut, comme les juifs croyaient devoir le faire, et sans la fallacieuse dissimulation que Paul avait blâmée dans Pierre[9]. »
17. Pierre feignit donc d’observer la loi, et Paul, ce censeur de Pierre, l’observait hardiment ; car on lit ensuite dans votre lettre : « Si Paul a observé les cérémonies de la loi parce qu’il a fait semblant d’être juif pour gagner les juifs, pourquoi n’a-t-il pas sacrifié avec les gentils, puisque, pour les gagner aussi, il a vécu avec ceux qui n’avaient point de loi, comme s’il n’en eût point eu lui-même[10] ? Il ne l’a fait que parce qu’il était juif de nation, et n’a pas dit tout ceci pour paraître ce qu’il n’était pas, mais pour exercer la miséricorde dont il aurait voulu qu’on usât à son égard s’il avait été sous le coup des mêmes erreurs : une affection compatissante le poussait, au lieu de la fourberie et du mensonge[11]. » Vous défendez bien Paul en disant qu’il ne feignait pas de partager l’erreur des juifs, mais qu’il fut véritablement dans l’erreur ; qu’il ne voulut pas imiter

  1. Galat, V, 2, 4, 18.
  2. Ezéch., XX, 25.
  3. Rom. VII, 12, 14.
  4. Galat. IV, 4.
  5. Ci-dessus, lett. XL, 5.
  6. Rom., X, 3.
  7. Lettre XL, 6 ; Philip. III, 8.
  8. XL, 6.
  9. I Lettr. bid.
  10. Ibid.
  11. II Cor. IX, 21.