Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/11

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était vu aussi des hommes. Je ne sais comment, quand il s’agit d’amour pour les choses superflues et terrestres, ce qu’on a acquis vous tient plus étroitement que ce qu’on désire. Pourquoi se retira-t-il si triste, celui qui, après avoir demandé au Seigneur ce qu’il fallait faire pour gagner la vie éternelle, entendit que, s’il voulait être parfait, il devait vendre tout son bien et le distribuer aux pauvres pour avoir un trésor dans le ciel, si ce n’est parce qu’il possédait de grandes richesses, comme le dit l’Évangile [1] ? Car autre chose est de ne pas vouloir s’incorporer ce qui nous manque encore, autre chose est d’arracher ce qu’on s’est déjà incorporé ; là c’est comme une nourriture qu’on nous refuse, ici ce sont comme des membres qu’on nous coupe. Quelle merveilleuse joie pour les chrétiens de notre temps de voir s’accomplir avec allégresse, par le conseil de l’Évangile, ce que le riche fut si triste d’entendre de la bouche même du Seigneur !

6. Ce qui se remue et s’enfante dans mon cœur est au-dessus de toute parole. Vous comprenez pieusement qu’il ne s’agit point ici de votre propre gloire, mais de la gloire du Seigneur en vous, car votre prudence a l’œil fixé sur l’ennemi, et vous travaillez, dans votre amour, à devenir de doux et humbles serviteurs du Christ : mieux vaudrait en effet garder humblement les richesses de la terre, que d’y renoncer orgueilleusement. Comme, donc, vous comprenez qu’il ne s’agit point ici de votre gloire, mais de la gloire du Seigneur, jugez de l’insuffisance et de la pauvreté de mes expressions : j’ai parlé des louanges du Christ, et les anges eux-mêmes n’en sont pas capables. C’est donc cette gloire du Christ que nous souhaitons de faire paraître aux yeux des hommes de notre pays ; les saints exemples que donne votre union conjugale apprendront à l’homme et à la femme à fouler aux pieds la vanité et à ne pas désespérer d’atteindre à la perfection. Je ne sais pas ce qu’il y aurait de meilleur, ou de ne pas refuser de vous montrer tels que vous êtes, ou d’avoir voulu le devenir.

7. Je recommande à votre bonté et à votre charité Vétustin, qui ferait pitié aux cœurs les moins religieux ; il vous apprendra les causes de son malheur et de son voyage. Quant à son projet de se consacrer au service de Dieu, on en jugera avec plus de certitude lorsque le temps l’aura mûri, lorsque Vétustin sera d’un âge plus avancé et qu’il ne sera plus sous le coup des craintes qui maintenant l’assiègent. J’ai envoyé à votre sainteté et à votre charité trois livres, et plût à Dieu que leur grandeur répondît à la grandeur de la question, qui est celle du libre arbitre ! Votre affection pour moi me rassure sur la fatigue que vous imposera la lecture de ces ouvrages. Je sais que notre frère Romanien, qui a tout ou presque tout ce que j’ai pu écrire, n’a pas ces trois livres-là ou ne les a pas en entier ; je n’ai pas pu donner tous mes ouvrages pour vous être portés, mais je vous les ai indiqués pour les lire Romanien les avait déjà tous et les emportait avec lui : c’est par lui que je vous ai adressé une première réponse. Avec l’expérience de votre sainteté et la sagacité spirituelle que vous a accordée le Seigneur, vous avez vu, je crois, tout ce qu’il y a de bon dans le cœur de cet homme et le reste de faiblesse qui s’y trouve encore. Vous avez lu, j’espère, avec quelle sollicitude je l’ai recommandé à votre bienveillance et à votre charité, lui et son fils, et par quelle étroite amitié ils me sont unis. Que par vous le Seigneur les édifie ! c’est ce que nous avons surtout à lui demander, car je sais combien vous le voudriez.

8. J’ai appris de nos frères que vous écrivez contre les païens : si nous méritons quelque chose de votre cœur, envoyez incessamment pour que nous lisions. Votre cœur est un tel oracle du Seigneur, que nous en attendons les réponses les plus satisfaisantes et les plus claires contre des objections bruyantes et vides. Je crois que votre sainteté a les livres du très-saint pape Ambroise ; je désire beaucoup ceux qu’il a écrits contre les ignorants et les superbes qui prétendent que le Seigneur a beaucoup appris dans les ouvrages de Platon[2] .

9. Le très-saint frère Sévère, jadis notre condisciple, aujourd’hui évêque de Milève[3] où depuis longtemps il était bien connu de nos frères, vous rend avec nous ses devoirs, et salue votre sainteté. Tous nos frères qui servent le Seigneur avec nous font de même autant qu’ils vous désirent ; ils vous désirent autant qu’ils vous aiment et vous aiment autant que vous êtes bons. Le pain que nous vous envoyons deviendra une bénédiction féconde par

  1. Luc, XVIII, 22-23
  2. Ces livres de saint Ambroise ne nous sont point parvenus.
  3. Milève, aujourd’hui Milah, à onze lieues à l’ouest de Constantine.