Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/120

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faille désormais les observer ; pourquoi ne me sera-t-il pas permis de dire que l’apôtre Paul et d’autres chrétiens d’une foi pure, devaient honorer ces anciennes cérémonies en les observant parfois en toute sincérité, de peur que ces pratiques d’un sens prophétique, pieusement gardées par les ancêtres, ne fussent détestées, par leurs descendants, comme des sacrilèges diaboliques ? Sans doute, depuis l’avènement de la foi qu’elles annonçaient et qui a été révélée après la mort et la résurrection du Seigneur, elles avaient perdu ce qui les faisait vivre comme devoirs ; mais, semblables à des corps morts, il fallait que leurs amis les conduisissent à la sépulture, non par dissimulation, mais par religion. Il ne convenait pas d’abandonner tout de suite ces restes et de les livrer aux calomnies des ennemis comme aux morsures des chiens. Tout chrétien, maintenant, fût-il né juif, qui voudrait observer ces cérémonies, troublerait des cendres endormies ; il ne porterait pas le mort, ou ne lui ferait pas pieusement cortège, il serait l’impie violateur d’un tombeau.

17. Je l’avoue toutefois, à l’endroit de ma lettre où je vous ai dit que Paul, déjà apôtre du Christ, avait observé les cérémonies des Juifs afin de montrer qu’elles n’étaient pas pernicieuses pour ceux qui voudraient les pratiquer dans l’esprit de l’ancienne loi ; j’aurais dû en borner l’usage possible au commencement de la révélation de la grâce chrétienne, car à ces premiers temps de la foi cela n’était pas pernicieux. C’est peu à peu et plus tard que tous les chrétiens devaient délaisser ces cérémonies ; si cet abandon avait eu lieu soudainement, il eût été à craindre qu’on n’eût pas fait la différence de la loi de Dieu donnée à son peuple par Moïse et des institutions de l’esprit immonde dans les temples des démons. Je dois plutôt me reprocher d’avoir négligé ce complément de ma pensée que de me plaindre que vous m’ayez repris à cet égard. Je vous dirai cependant que, longtemps avant de recevoir votre lettre, j’avais brièvement touché à cette question dans un écrit contre le manichéen Faust, et que je n’avais pas omis cette restriction ; votre bienveillance pourra le lire si elle daigne en prendre la peine, et nos chers frères, par lesquels je vous envoie cet ouvrage, vous prouveront, comme vous voudrez, que je l’avais dicté auparavant. Au nom des droits de la charité, je vous demande de croire ce que je vous affirme du fond de l’âme et devant Dieu, savoir, qu’il ne m’a jamais paru que maintenant l’on puisse commander ou permettre à des juifs devenus chrétiens, d’observer ces antiennes cérémonies, dans quelque sentiment et pour quelque motif que ce soit, quoique mes sentiments sur Paul n’aient jamais varié depuis que ses épîtres me sont connues ; il ne vous parait pas non plus à vous-même qu’il puisse appartenir aujourd’hui à qui que ce soit : d’user de la dissimulation dont vous croyez que les apôtres ont usé.

18. Vous dites, et vous soutiendriez contre le monde entier, ce sont vos expressions, que les cérémonies des juifs sont pernicieuses et mortelles aux chrétiens, et que quiconque d’entre les juifs et les gentils les observera, tombera dans le gouffre du démon : j’appuie tout à fait ce sentiment, et j’ajoute : Quiconque d’entre les juifs ou les gentils observera ces cérémonies, non-seulement avec sincérité, mais même avec dissimulation, tombera dans le gouffre du démon. Que voulez-vous de plus ? De même que la dissimulation des apôtres n’est pas à vos yeux une raison pour ce temps-ci ; de même la sincérité de Paul dans les observations légales n’autorise pas à mes yeux aujourd’hui ces pratiques : ce qu’on put alors approuver est devenu détestable. Nous lisons : « La loi et les prophètes jusqu’à Jean-Baptiste[1] ; les Juifs cherchaient à faire mourir le Christ, parce que non-seulement il violait le sabbat, mais encore il disait que Dieu était son Père, se faisant égal à Dieu[2] ; nous avons reçu grâce pour grâce ; la loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité ont été apportées par Jésus-Christ[3] ; » malgré ces divers passages de l’Évangile, et quoiqu’il ait été annoncé par Jérémie que Dieu ferait avec la maison de Juda une alliance nouvelle et différente de l’alliance contractée avec leurs pères[4], je ne crois pas que les parents du Seigneur lui-même l’aient fait circoncire par dissimulation. Peut-être dira-t-on que le Seigneur ne l’empêchait point à cause de son âge ; mais je ne crois pas qu’il ait dit faussement au lépreux, qu’il avait guéri par sa vertu propre et non par là puissance de la loi mosaïque : « Allez, et offrez pour vous le sacrifice que Moïse a prescrit pour leur servir de témoignage[5]. » Ce n’est point par dissimulation qu’il est monté à

  1. Luc, XVI, 16.
  2. Jean, V, 18.
  3. Ibid. I, 16-17.
  4. Jérém., XXXI, 31.
  5. Marc. I, 44.