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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/122

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21. Que voulez-vous dire, je vous prie, par ces mots : « Non par condescendance, comme nos anciens l’ont pensé ? » Ou bien c’est ce que j’appelle mensonge officieux, une façon de devoir qui fait qu’on croit mentir honnêtement, ou bien je ne vois pas du tout ce que cela pourrait être, à moins que, sous le nom de condescendance, le mensonge ne soit plus le mensonge. Si cela est absurde, pourquoi ne dites-vous pas ouvertement que le mensonge officieux peut se soutenir ? Le mot d’office vous répugne peut-être parce qu’on ne le trouve pas dans les livres ecclésiastiques ; notre Ambroise n’a pas craint pourtant d’intituler Des offices quelques-uns de ses livres pleins d’utiles préceptes. Faut-il blâmer celui qui aura menti officieusement, et approuver celui qui aura menti par condescendance ? Mente où il voudra celui qui sera de cet avis, car c’est une grande question que celle de savoir si le mensonge peut parfois être permis à des hommes de bien, même à des hommes chrétiens à qui il a été dit : « Qu’il y ait dans votre bouche oui, oui, non, non, pour que vous ne soyez point condamnés[1], » et qui écoutent avec foi ces paroles : « Vous perdrez tous ceux qui profèrent le mensonge[2]. »

22. Mais, comme je l’ai dit, c’est là une autre et grande question. Que celui qui pense qu’on peut parfois mentir soit juge de l’occasion où il croit pouvoir se le permettre, pourvu que l’on croie et que l’on soutienne fermement que nul mensonge ne se trouve dans les auteurs des saintes Écritures, et surtout des Écritures canoniques ; il ne faut pas que les dispensateurs du Christ dont il a été dit : « On cherche, parmi les dispensateurs, quelqu’un qui soit fidèle[3], » estiment avoir appris quelque chose de grand, en ayant appris à mentir pour la dispensation de la vérité : car le mot de fidélité signifie en langue latine qu’on fait ce qu’on dit. Or, là où l’on fait ce que l’on dit, il n’y a plus mensonge. Dispensateur fidèle, l’apôtre Paul, sans aucun doute, écrit donc avec fidélité ; il est le dispensateur de la vérité, et non pas de la fausseté. Donc aussi il a dit vrai quand il a écrit qu’il avait vu Pierre ne pas marcher droit selon la vérité de l’Évangile, et qu’il lui avait résisté en face, parce qu’il forçait les gentils à judaïser. Pierre reçut avec la sainte et bénigne douceur de l’humilité ce qui fut dit utilement et librement par la charité de Paul : rare et saint exemple qu’il donna ainsi à ceux qui devaient venir après lui, en leur apprenant à se laisser avertir même par des inférieurs, si, par hasard, il leur arrivait de s’écarter du droit chemin ! Exemple plus saint et plus rare que celui de Paul, qui veut que nous osions résister à de plus grands que nous pour la défense de la vérité évangélique, sans jamais blesser cependant la charité fraternelle. Quoiqu’il vaille mieux tenir le droit chemin que de s’en écarter en quelque manière, il est plus beau et plus louable de recevoir de bonne grâce une correction, que de relever courageusement une erreur. Paul mérite d’être loué par sa juste liberté, Pierre pour sa sainte humilité. Cette humilité aurait dû être, selon moi, défendue contre les calomnies de Porphyre, au lieu de donner à celui-ci de plus graves motifs d’injures contre Pierre. Quel plus sensible outrage à faire aux chrétiens, que de les accuser d’user de dissimulation dans leurs écrits et dans la célébration du culte de leur Dieu ?

23. Vous me demandez de vous citer au moins quelqu’un dont je suive le sentiment en cette matière, tandis que vous nommez plusieurs auteurs qui vous ont précédé dans l’expression des mêmes pensées ; et vous demandez que, si je vous reprends dans votre erreur, je souffre que vous vous trompiez avec de tels hommes, dont j’avoue n’avoir lu aucun. Ils sont six ou sept, mais il en est quatre dont vous ruinez vous-même l’autorité. D’abord quant au Laodicéen dont vous taisez le nom, vous dites qu’il est depuis peu sorti de l’Église ; vous dites qu’Alexandre est un ancien hérétique ; je lis qu’Origène et Didyme sont réfutés dans vos plus récents ouvrages, assez vivement et sur de grandes questions, quoique vous eussiez donné auparavant à Origène de merveilleuses louanges. Je crois donc que vous-même ne voudrez pas non plus errer avec ces hommes-là, quoiqu’en parlant de la sorte vous ne pensez pas qu’ils se soient trompés sur ce point. Car qui voudrait errer avec qui que ce fût ? Restent trois auteurs, Eusèbe d’Emèse, Théodore d’Héraclée et celui que vous citez ensuite, Jean, qui gouvernait, il n’y a pas longtemps, l’Église de Constantinople avec la

24. Or, si vous cherchez ou si vous vous rappelez ce qu’a pensé sur ce point notre Ambroise[4],

  1. Jacq. V, 12 ; Matth. V, 37.
  2. Ps. V, 7.
  3. Cor. IV, 2.
  4. Voir le Commentaire de saint Ambroise sur l’Epître aux Galates.