Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

aussi ce nom : il vous a porté dans son sein, et, après vous avoir nourri du premier lait de la science humaine, il désire ardemment aujourd’hui vous allaiter et vous nourrir dans le Seigneur avec ses mamelles spirituelles. Quoique, par l’âge, vous soyez adulte, il vous voit encore au berceau de la vie spirituelle, encore enfant dans la parole de Dieu, formant vos premiers pas et traînant une marche chancelante, si toutefois la doctrine d’Augustin devient votre appui, comme la main d’une mère ou le bras d’une nourrice dirige la faiblesse de l’enfant. Si vous l’écoutez et le suivez, pour me servir une seconde fois des paroles de Salomon, « vous recevrez sur votre tête une couronne de grâce[1] ; » et vous serez alors, non pas au milieu des illusions d’un songe, mais par l’œuvre de la vérité elle-même, consul et pontife : les vides images de l’erreur feront place aux solides effets de l’opération du Christ. Vous serez véritablement pontife et véritablement consul, mon cher Licentius, si, vous attachant aux traces prophétiques et aux règles apostoliques d’Augustin, vous devenez pour lui ce qu’Élisée fut à Élie et le jeune Timothée au grand apôtre, si, ne vous séparant pas de lui sur les routes divines, vous méritez, par un cœur parfait, d’être élevé au sacerdoce et de travailler par l’enseignement au salut des peuples.

5. Voilà assez d’avertissements et de leçons. Je crois, mon cher Licentius, qu’il vous faut peu de paroles pour vous pousser vers le Christ, vous qu’Augustin avait enflammé, dès vos plus jeunes années, pour l’étude de la vérité et de la sagesse, qui est le Christ et le suprême bien de tout bien. Si un homme comme lui a pu bien peu avec vous et pour vous, que ferai-je, moi, placé si au-dessous de lui et si dénué de toutes les richesses dont il brille ? Mais parce que j’ai confiance dans sa puissance et dans votre heureux naturel, j’espère qu’il y a en vous plus de choses saintes qu’il n’en reste à faire, et j’ai osé ouvrir la bouche avec la double pensée de m’égaler à Augustin dans sa sollicitude pour vous et d’être compté au nombre de ceux qui aiment véritablement votre salut. C’est mon désir que j’apporte, car, pour ce qui est effet et réalité en ce qui touche votre perfection, je sais bien que la palme est destinée à Augustin. Je crains, mon fils, de vous avoir blessé par l’âpreté téméraire de mon langage et d’avoir porté de l’oreille au fond même de votre cœur tout l’ennui de mon discours. Mais je me suis souvenu d’une lettre de vous qui m’a fait connaître que vous aimez les vers ; jadis je les ai un peu aimés aussi. J’appellerai donc l’harmonie à mon secours comme un doux remède à l’irritation que je vous ai causée peut-être, et comme un moyen de vous faire remonter à Dieu, qui est le père de toute harmonie. Ecoutez-moi, je vous en prie ; ne méprisez pas dans mes paroles ce qui est inspiré pour votre salut ; fussent-elles méprisables en elles-mêmes, recevez-les comme le témoignage de mes soins pieux pour vous et de mes sentiments paternels le nom du Christ que vous y trouverez et qui est au-dessus de tout nom, vous oblige aussi de leur accorder ce respect que nul croyant ne peut refuser[2] : Allons, hâtez-vous, rompez les chaînes du siècle : ne craignez point le joug si doux du Seigneur. Les choses du temps ne ravissent que les cœurs frivoles ; le sage n’en est pas ébloui. Maintenant, hélas ! c’est Rome qui, avec la perfide variété de ses enchantements, vous sollicite, Rome qui peut abattre les plus forts ; mais, ô mon fils, je vous en prie, qu’Augustin votre père vous soit toujours présent au milieu de toutes les séductions de la ville. Son image, si vous l’avez dans votre cœur, vous défendra contre les grands dangers d’une vie où les chutes sont faciles. II est une chose surtout que je vous redirai et pour laquelle je vous avertirai sans cesse : fuyez les écueils de la dure profession des armes. La gloire est un nom caressant, la condition militaire est mauvaise ; ce triste parti qu’on se plaît à vouloir prendre, on se repent bientôt de l’avoir pris. On aime à monter aux honneurs, on tremble d’en descendre ; si vous chancelez, vous tombez misérablement de ce haut sommet. Maintenant les faux biens vous plaisent, maintenant l’ambition vous livre à tous les vents, et la vaine renommée vous porte sur son sein de verre ; mais quand vous aurez ceint le baudrier avec grand dommage et que des travaux stériles vous auront brisé ; quand, trop tard, et en vain, vous vous plaindrez de vos espérances évanouies et que vous voudrez briser les fers que vous vous forgez en ce moment, vous vous souviendrez alors tristement d’avoir méprisé les avis d’Augustin votre père. Si donc vous êtes sage, si vous êtes un enfant pieux, écoutez, mettez à profit les paroles des pères et le conseil des vieillards.

Pourquoi retirez-vous du joug votre cou si fier ? Mon fardeau est léger, dit la voix tendre du Christ, mon joug est doux : fiez-vous à Dieu ; mettez votre tète sous le joug, livrez votre bouche à une douce muselière et baissez vos épaules pour un fardeau léger. Vous le pouvez tandis que vous êtes libre, tandis que des liens d’aucune sorte ne vous retiennent : ni les liens du mariage ni les obligations des emplois élevés. La bonne et vraie liberté, c’est de servir le Christ : on est en lui supérieur à tout. Celui qui s’est donné tout entier au Christ notre Seigneur, cesse d’être esclave des maîtres des hommes et de leurs vices, et des rois superbes. Gardez-vous de croire libre cette noblesse que vous voyez fièrement conduite sur des chars dans Rome étonnée ; et qui se croit tellement libre qu’elle dédaigne de se courber sous le joug de Dieu. Elle est esclave de plus d’un mortel ! elle est esclave de ses esclaves même, et achète des femmes pour être dominée par elles. Les ambitieux savent ce qu’il y a à souffrir avec les eunuques et les grands palais : quiconque s’accommode de Rome veut être malheureux Que de travaux et de sacrifices aura coûtés ici la chlamyde, là l’honneur d’une charge ! Il n’est pas pour cela puissant, celui qui a obtenu de monter plus haut que les autres et qui est arrivé au point de ne servir personne ; pendant qu’il se vante de sa domination dans toute la ville, il sert les démons s’il rend un culte aux images des dieux. O, douleur ! c’est pour ces hommes-là que vous restez à Rome, Licentius, et c’est pour leur plaire que vous méprisez le royaume du Christ ! Vous les appelez vos maîtres, vous les saluez en courbant la tête, eux que vous voyez esclaves du bois et de la pierre ! Ils vénèrent sous un nom divin l’argent et l’or : leur religion, c’est la soif maladive des richesses. Que celui-là les aime, qui n’aime pas Augustin ; que celui-là n’aime point le Christ, qui se plaît à les honorer. Dieu lui-même a dit qu’on ne peut pas servir deux maîtres ; il veut un sentiment qui ne soit point partagé. II n’y a qu’une foi, qu’un Dieu, qu’un Christ, fils du Père : pourquoi un double service lorsqu’il n’y a qu’un seul maître ? Il y a aussi loin des affaires du Christ à celles de César, qu’il y a loin du ciel à la terre. Sortez

  1. Prov. IV, 9
  2. Cette pièce de vers, dont nous donnons ici la traduction, se compose de cinquante distiques. On sait que saint Paulin se fit une renommée de poète parmi ses contemporains. La postérité a recueilli des poésies religieuses de ce grand chrétien.