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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/137

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qui venaient d’être faites à l’évêque catholique de Bagaie[1], et son indignation avait déjà fait les lois qui furent envoyées en Afrique. Du moment où vous avez commencé à en éprouver la sévérité, non pour le mal, mais pour le bien, que deviez-vous faire, si ce n’est de vous adresser à nos évêques pour leur proposer ce qu’auparavant ils vous avaient proposé eux-mêmes une conférence d’où pût sortir la vérité ?

8. Non-seulement vous n’avez pas fait cela, mais ceux de votre parti ont redoublé de violence à notre égard. Ils ne se bornent pas à nous attaquer avec le bâton et à nous déchirer avec le fer, mais, par une incroyable combinaison de crime, ils nous lancent dans les yeux, pour nous aveugler, de la chaux délayée dans du vinaigre. Pillant nos maisons, ils se sont fait de grandes et terribles – armes avec lesquelles ils se répandent de tous côtés, tuant, pillant, mettant le feu, crevant les yeux. Voilà ce qui nous a forcés à porter d’abord nos plaintes devant votre sagesse ; considérez que la plupart d’entre vous, que vous tous qui vous dites persécutés, vous demeurez tranquilles chez vous ou chez autrui, sous ces terribles lois des empereurs catholiques, et, pendant ce temps, nous souffrons de la part de ceux de votre parti des maux inouïs ! Vous vous dites persécutés, et nous sommes assommés à coups de bâton ou percés par le fer ; vous vous dites persécutés, et nos demeures sont pillées et dévastées par vos gens ; vous vous dites persécutés, et vos gens nous aveuglent par de la chaux et du vinaigre. Si parfois ils se donnent la mort, ces trépas sont des sujets de haine contre nous, et, pour vous, des sujets de gloire. Ils ne s’imputent pas ce qu’ils nous font ; et, ce qu’ils se font, ils nous l’imputent. Ils vivent comme des larrons, meurent comme des circoncellions, et sont honorés comme des martyrs ; et, du reste, nous n’avons jamais ouï-dire que les larrons aient crevé les yeux à ceux qu’ils ont volés : ils enlèvent à la lumière ceux qu’ils tuent, mais ils n’enlèvent pas la lumière aux vivants.

9. Pendant ce temps-là, si, parmi les vôtres, il en est qui tombent entre nos mains, nous les protégeons avec grand amour, nous leur parlons, nous leur lisons tout ce qui peut dissiper l’erreur qui sépare des frères de leurs frères ; nous faisons ce que le Seigneur a prescrit par le prophète Isaïe, lorsqu’il a dit : « Écoutez, vous qui craignez la parole du Seigneur ; dites : Vous êtes nos frères à ceux qui vous haïssent et vous exècrent, afin que le nom du Seigneur soit honoré et devienne pour eux une cause de joie ; mais qu’ils soient eux-mêmes confondus[2]. » Si quelques-uns d’entre eux sont frappés de l’évidence de la vérité et de la beauté de la paix, nous ne leur donnons pas une seconde fois le baptême qu’ils ont reçu et qu’ils gardent comme des déserteurs gardent fine marque royale, mais nous les associons à la foi qui leur a manqué, à la charité de l’Esprit-Saint et au corps du Christ. Il est écrit que la foi purifie les cœurs[3], et que la charité couvre la multitude des péchés[4]. Mais si, par endurcissement ou par fausse honte, ne pouvant supporter les insultes de ceux avec qui ils débitaient tant de faussetés et méditaient tant de mauvais desseins contre nous ; si surtout, craignant de s’attirer les mauvais traitements qu’auparavant ils ne nous épargnaient 'pas, ils refusent de rentrer dans l’unité du Christ, nous les laissons aller sains et saufs comme nous les avions pris : autant que nous le pouvons, nous avertissons nos laïques de ne faire aucun mal à ceux qui leur tombent entre les mains, et de nous les amener pour les reprendre et les instruire. Il en est qui nous écoutent et qui le font s’ils peuvent ; d’autres en agissent avec ces gens-là comme avec des voleurs, car les mauvais traitements qu’ils endurent de leur part les autorisent à les regarder comme tels. Quelques-uns préviennent avec des coups les coups dont ils sont menacés ; quelques-uns encore conduisent aux juges ceux qu’ils ont pris, et nous n’obtenons pas qu’ils leur pardonnent : tant sont horribles les maux qu’ils redoutent ! Néanmoins ces malheureux égarés gardent en tout des habitudes de brigands, et exigent qu’on les honore comme des martyrs.

10. Voici le désir que nous vous exprimons par cette lettre et par les frères que nous envoyons près de vous. D’abord, si c’est possible, nous souhaitons que vous confériez pacifiquement avec nos évêques, afin qu’on atteigne l’erreur où elle se rencontrera et non pas les hommes, afin que les hommes soient ramenés et non pas punis ; nous souhaitons que vous vous réunissiez enfin avec ceux dont vous aviez méprisé auparavant les offres de réunion.

  1. Les ruines de Bagaïa ou Vagïa se voient à deux lieues au nord-ouest du poste français de Krenchela. On y trouve une enceinte byzantine dans un remarquable état de conservation. Les Arabes désignent ces ruines sous le nom de Ksar Bagaie.
  2. Is. LXI, 5
  3. Act. XV, 9
  4. I Pierre, IV, 8