Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/147

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Christ ne l’a pas pu, ils annoncent que nous portons atteinte à la toute-puissance de Dieu ; si nous accordons qu’il l’a pu, notre réponse sera la conclusion de leur argument. Ils sont plus tolérables dans leur folie, ceux qui prétendent que la chair se changera en substance de Dieu et deviendra ce que Dieu est : ils veulent ainsi la rendre au moins capable de voir Dieu, car ils reconnaissent qu’elle est maintenant trop éloignée de la ressemblance divine. Je crois que les premiers écartent de leur foi, peut-être même de leurs oreilles, de telles erreurs. Pourtant, si on les pressait sur ce point de la même interrogation, et si on leur demandait : Dieu le peut-il ou ne le peut-il pas ? diminueront-ils la puissance de Dieu en répondant qu’il ne le peut, ou s’ils accordent qu’il le peut, avoueront-ils qu’on le verra de cette manière ? De même donc qu’ils dénoueraient ce nœud qui leur vient d’autrui, qu’ils dénouent ainsi leur propre nœud. Ensuite, pourquoi attribuer ce privilège aux yeux seuls du Christ, et non aux autres sens ? Dieu sera donc un son, pour que les oreilles puissent l’entendre ! une odeur, pour qu’on puisse le sentir ! un liquide, pour qu’on puisse le boire ! une masse, pour qu’on puisse le toucher ! Non, disent-ils. Quoi donc ? répondrons-nous, Dieu peut-il ou ne peut-il pas cela ? S’ils disent qu’il ne le peut, pourquoi portent-ils atteinte à sa toute-puissance ? S’ils répondent qu’il le peut, mais ne le veut pas, pourquoi favorisent-ils les seuls yeux du Christ et déshéritent-ils ses autres sens ? Ces hommes ne sont-ils fous qu’autant qu’ils veulent ? Combien nous faisons mieux, nous qui ne voulons pas mettre des bornes à leur folie, mais les rendre tout à fait sages !

6. On pourrait répondre à ces extravagances par beaucoup d’autres raisonnements. Mais, s’ils viennent assiéger vos oreilles, lisez-leur ceci, et ne craignez pas de m’écrire, comme vous pourrez, ce qu’ils auront répondu. Car le motif pour lequel nos cœurs se purifient par la foi, c’est que la vue de Dieu nous est promise comme récompense de la foi. Si on doit voir Dieu par les yeux du corps, c’est en vain que les saints exercent leur âme pour l’obtenir ; ou plutôt, toute âme qui en est à cette détestable opinion, ne travaille pas sur elle-même, mais elle demeure entièrement enfoncée dans la chair. car, où s’attachera-t-on le plus fortement et de préférence, si ce n’est du côté par où l’on espère qu’on verra Dieu ? J’aime mieux laisser à votre intelligence le soin de juger combien cette doctrine est mauvaise, que de m’efforcer de vous le montrer par un long discours. Que votre cœur habite toujours sous la protection du Seigneur, illustre et excellente dame, et respectable fille dans la charité du Christ. Saluez aussi de ma part et avec les sentiments que je dois à vos mérites et aux leurs vos honorables et bien-aimés fils, qui sont les miens dans le Seigneur.

LETTRE XCIII.

(Année 408.)

La lettre qu’on va lire est restée célèbre dans l’histoire des controverses catholiques. C’est une réponse à un évêque de Cartenne[1], de la secte de Rogat, une des sectes du donatisme. Saint Augustin y démolit les doctrines des donatistes avec une nouvelle abondance de faits et d’idées et une vive et ingénieuse éloquence ; il arrache aux sectaires l’autorité de saint Cyprien. Mais ce qui a surtout rendu fameuse cette lettre du grand évêque d’Hippone, c’est qu’il y expose comment il a été amené à changer de sentiment sur la conduite à tenir à l’égard des hérétiques. Il avait pensé qu’il ne fallait employer envers les dissidents que le raisonnement et la douceur ; les réflexions et les observations de la plupart de ses collègues de l’épiscopat africain, de nombreux exemples, l’évidence des faits, une expérience journalière modifièrent profondément sa pensée. Toutefois cette conduite nouvelle ne l’empêcha pas de rester miséricordieux. Saint Augustin rappelle aux donatistes qu’ils ont été les premiers à solliciter l’intervention de la puissance temporelle et qu’ils l’ont sollicitée à leur profit contre les catholiques. Il est impossible de se rendre un compte exact de ces questions si on les juge à travers certaines idées actuelles, et si on ne se transporte pas aux entrailles mêmes de la société chrétienne au IVe et au Ve siècles.

AUGUSTIN A SON BIEN-AIMÉ FRÈRE VINCENT.

1. J’ai reçu une lettre que je puis croire venue de vous ; elle m’a été apportée par un catholique qui, je le pense, n’oserait pas me mentir. Mais si par hasard cette lettre n’est pas de vous, je vais toujours répondre à celui qui l’a écrite. Je suis maintenant plus désireux et ami de la paix qu’à l’époque où vous m’avez connu fort jeune à Carthage, quand votre prédécesseur Rogat vivait encore ; mais les donatistes sont si remuants qu’il ne me paraît pas inutile que les puissances établies de Dieu les répriment et les corrigent. Plusieurs d’entre eux ainsi ramenés font notre joie : ils se montrent si sincèrement attachés à l’unité catholique, ils la défendent avec tant d’énergie et se réjouissent si fort d’avoir été tirés de leur ancienne erreur, qu’ils sont pour nous un sujet d’admiration. Ceux-là pourtant, par je ne sais quelle force de la coutume, n’auraient jamais songé à changer en mieux, si la crainte des lois

  1. Aujourd’hui Ténès.