Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/192

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que les vêtements de Jonas l’ont empêché d’être englouti sans meurtrissure, comme si le prophète s’était fait petit pour franchir un passage étroit ; au lieu que, précipité du haut d’un navire., il a été reçu par la baleine de façon à pénétrer dans le ventre du monstre avant de pouvoir être déchiré par ses dents. L’Écriture ne dit pas, d’ailleurs, s’il était nu ou habillé quand il fut jeté dans cette caverne, afin qu’on pût admettre qu’il était nu, s’il fallait qu’on lui ôtât ses vêtements, comme à un neuf sa coque, pour qu’il devînt plus aisé à engloutir. On se préoccupe des vêtements de Jonas comme si les livres saints eussent dit qu’il avait passé par une petite fenêtre ou qu’il était entré dans un bain : et encore pourrait-on entrer dans un bain tout habillé ; ce ne serait pas commode, mais il n’y aurait là rien de merveilleux.

32. Mais ils ont une raison pour ne pas croire à ce miracle de Dieu, c’est la vapeur du ventre par laquelle s’humecte la nourriture, et qui aurait dû se tempérer pour conserver la vie d’un homme, combien n’est-il pas plus incroyable que les trois hommes jetés dans une fournaise par un roi impie se soient promenés sains et saufs au milieu du feu ! Du reste, si ceux à qui nous répondons se refusent à croire à tout miracle, c’est par d’autres raisonnements que nous aurions à les réfuter ? Car ils ne doivent pas objecter comme incroyable un fait particulier ni le révoquer en doute, mais tous les faits qui sont tels et même plus étonnants. Toutefois, si ce qui est écrit sur Jonas l’était sur Apulée de Madaure ou sur Apollonius de Tyane, dont on nous raconte tant de prodiges sans témoignage d’aucun auteur sérieux, quoique les démons fassent aussi des choses comme en font les saints anges, non en réalité, mais en apparence, non avec sagesse, mais par le mensonge ; si, dis-je, on nous rapportait quelque chose d’aussi surprenant de ceux que les païens honorent sous les noms de mages ou de philosophes, les bouches de nos adversaires ne retentiraient pas d’éclats de rire, mais de paroles triomphantes. Qu’ils se moquent de nos Écritures ; qu’ils s’en moquent à leur gré, pourvu que les rieurs deviennent de jour en jour plus rares, soit parce qu’ils meurent, soit parce qu’ils croient, et tandis que s’accomplit tout ce qu’ont prédit les prophètes, ces prophètes qui se sont ri, si longtemps avant eux, de leurs inutiles combats contre la vérité, de leurs vains aboiements, de leurs défections successives, et qui non-seulement nous ont laissé à lire, à nous qui sommes leur postérité, ce qu’ils ont écrit sur eux, mais nous ont promis que nous en verrions l’accomplissement.

33. On peut raisonnablement et avec profit demander ce que signifie le miracle de Jonas, afin de ne pas se borner à croire qu’il s’est accompli, mais de comprendre qu’il a été écrit parce qu’il renferme quelque signification mystérieuse. Il faut donc commencer par reconnaître que le prophète Jonas a passé trois jours dans le vaste sein d’un monstre marin, quand on veut rechercher pourquoi cela s’est fait ; car ce n’a pas été en vain et c’est cependant certain. Si de simples paroles figurées et sans actes nous excitent à la foi, combien notre foi doit s’exciter plus encore non-seulement par ce qui a été dit, mais même par ce qui a été fait en figure ? Les hommes ont coutume de s’exprimer par des paroles, mais c’est aussi par des faits que parle la puissance de Dieu. Et de même que des mots nouveaux ou peu usités, quand ils sont choisis avec goût et sobriété, ajoutent à l’éclat des discours humains ; ainsi les faits merveilleux et figuratifs ajoutent en quelque façon à la splendeur de l’éloquence divine.

34. D’ailleurs, pourquoi nous demander la signification de l’histoire de Jonas, puisque le Christ lui-même l’a donnée ? « Cette génération mauvaise et adultère, dit-il, demande un prodige, et on ne lui en donnera point d’autre que celui du prophète Jonas. De même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi le Fils de Dieu sera trois jours et trois nuits dans le cœur de la terre[1]. » Quant à rendre raison des trois jours depuis la mort de Notre-Seigneur jusqu’à sa résurrection, en entendant, pour le premier et le dernier jour, le tout par la partie, de façon à compter dans cet espace trois jours avec leurs nuits, ce serait l’objet d’un long discours, et cette matière a été souvent traitée ailleurs. Donc, comme Jonas a été précipité du haut d’un navire dans le ventre de la baleine, ainsi le Christ a été précipité du haut de la croix dans le sépulcre, ou dans la profondeur de la mort, le prophète fut précipité pour le salut de ceux que menaçait la tempête, le Christ pour le salut de ceux qui flottent sur la mer de ce monde ; et comme Jonas avait reçu l’ordre de prêcher aux Ninivites, mais ne parut au milieu

  1. Matth. XII, 39 et 40.