Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/199

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

véritable et pieux amour à, cette patrie qui vous a engendré selon la chair, en cherchant à obtenir pour vos concitoyens la grâce de la félicité éternelle au lieu de ces vaines joies du temps et de ces funestes impunités.

11. Vous avez ici les pensées et les vœux de mon cœur dans celte affaire. Quant à ce qui est caché dans le conseil de Dieu, je l’ignore, je l’avoue, car je suis homme : mais quel que soit son dessein, il est juste, sage, immuable, et incomparablement meilleur que tous les desseins des hommes ; car c’est: avec vérité qu’il est écrit dans nos livres : « Il y a diverses pensées dans le cœur de l’homme mais le conseil du Seigneur demeure éternellement (1). » Quant, à ce.que le temps apporte aux facilités ou aux difficultés qui peuvent naître, à la résolution nouvelle qui peut tout à coup sortir de la correction des coupables ou de l’espoir de leur amendement ; soit que Dieu, dans son indignation, les punisse plus terriblement en leur accordant la complète impunité qu’ils demandent ; soit qu’il lui plaise de les châtier miséricordieusement comme nous le jugeons convenable, ou de les frapper d’une punition plus dure, mais plus salutaire, pour leur inspirer de recourir sincèrement à sa clémence plutôt qu’à celle des hommes cet changer en joies les rigueurs qui se préparaient, ce sont là des choses qu’il sait, mais que nous ignorons. Pourquoi donc entre votre Excellence et moi tous ces inutiles efforts avant le temps ? laissons un peu là les soins dont l’heure n’est pas venue, et si vous le voulez bien, occupons-nous de ce qui presse toujours. Il n’y a pas de moment où il ne convienne et ne faille faire quelque chose pour plaire à Dieu. La perfection élevée jusqu’à l’absence de tout péché dans l’homme est impossible dans cette vie, ou du moins très-difficile ; voilà pourquoi on doit d’abord recourir à la grâce de celui à qui on peut dire en toute vérité ce qu’un poète flatteur a dit à je ne sais quel illustre personnage, et le poète avoue pourtant l’avoir reçu de Cumes comme d’une inspiration prophétique : « Sous un chef tel que vous, s’il reste encore quelques traces de notre crime, elles s’effaceront, et la terre sera délivrée des craintes qui l’agitaient toujours[1]. » Avec un tel chef en effet, tous les péchés étant pardonnés, on parvient à la céleste patrie 1. Prov. XIX, 21. que je me suis efforcé de recommander à votre amour, et dont vous avez aimé que je vous parle.

12. Mais vous avez dit que toutes les lois aspirent à cette céleste patrie par des voies et des sentiers différents, et je crains que, pensant y arriver par la voie où vous êtes, vous ne vous pressiez pas assez d’entrer dans la seule voie qui peut y conduire. Mais en réfléchissant de nouveau à l’expression dont vous vous êtes servi, il une semble que j’ai quelque raison d’expliquer ainsi le sens que vous y attachez : vous n’avez pas dit que toutes les lois, par des voies et des sentiers divers, y conduisent, la font voir, la trouvent, y aboutissent ou l’obtiennent, ou quelque chose dans ce genre ; en disant que toutes les lois y aspirent, vous avez employé un mot qui, tout pesé et examiné, ne signifie pas la possession mais le désir de posséder. Par là vous n’avez : pas exclu la religion véritable et vous n’avez pas admis les religions fausses ; assurément celle-là aspire qui sait conduire, mais toute loi qui aspire au bien n’y conduit pas, et quiconque y parvient est sûrement heureux. Or nous voulons tous être heureux, c’est-à-dire nous aspirons au bonheur, mais nous tous qui le voulons nous ne le pouvons pas, c’est-à-dire nous ne pouvons pas tous atteindre à ce que nous désirons. Pour obtenir il faut donc suivre non-seulement la voie où l’on aspire, mais la voie où l’on arrive, laissant les autres pèlerins du monde sur les chemins du désir et sans espoir d’atteindre au but. On ne ferait pas fausse route si on n’aspirait à rien eu si on arrivait à la possession de la vérité désirée. Mais si vous parlez de voies différentes et non contraires ; si vous entendez par voies différentes ce que nous entendons par ces préceptes divers qui tous contribuent à une sainte vie, les uns de charité ou de patience, les autres do fidélité ou de miséricorde, ou d’autres encore, non seulement on aspire à la céleste patrie par ces voies et ces sentiers divers, mais même on la trouve. Dans nos saintes Écritures il est parlé des voies et de la voie ; des voies comme dans ce passage : « J’enseignerai vos voies aux méchants, et les impies se convertiront à vous[2] ; » de la voie comme dans ce verset : « Conduisez-moi dans votre voie, et je marcherai dans votre vérité[3]. » Ces voies et cette voie ne sont pas différentes ; elles n’en forment

  1. Virg., églogue 4.
  2. Ps. L, 15.
  3. Ps. LXXXV, 11.