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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/221

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séparés de tout bruit. Vous n’ignorez point, je pense, les horreurs accumulées dans les régions de l’Italie et des Gaules ; on commence à en dire autant de ces pays d’Espagne qui jusqu’ici avaient été préservés. Mais pourquoi chercher si loin ? Voilà que dans notre contrée d’Hippone, non encore envahie par les Barbares, les clercs donatistes et les circoncellions dévastent nos églises avec tant de cruauté, qu’à côté de ces brigandages les coups des Barbares nous paraîtraient peut-être bien doux. En effet, quel Barbare aurait, comme eux, l’idée de jeter de la chaux et du vinaigre dans les yeux de nos clercs et de faire à leurs membres d’horribles plaies et blessures ? Ils pillent et brûlent des maisons, enlèvent les récoltes, répandent les vins et les huiles, et forcent beaucoup de nos catholiques à se faire rebaptiser en les menaçant tous de ces violences. Hier j’ai appris qu’en un seul endroit quarante-huit catholiques ont été ainsi contraints de recevoir de nouveau le baptême.

2. Il ne faut pas s’étonner de ces désastres, mais les déplorer ; il faut crier vers Dieu pour qu’il nous délivre de si grands maux non point en nous traitant selon nos mérites, mais selon sa miséricorde. Du reste, que devons-nous espérer pour le genre humain, lorsque depuis si longtemps les prophètes et l’Évangile ont prédit toutes ces choses ? Il ne nous convient pas de nous mettre en contradiction avec nous-mêmes, de croire aux prophéties que nous lisons et de nous plaindre de leur accomplissement ; mais plutôt, ce sont ceux qui jusqu’ici ont été incrédules à l’égard des saints livres qui doivent ajouter foi à leur vérité, maintenant qu’ils voient les paroles sacrées s’accomplir ; et dans ce pressoir du Seigneur ou nous sommes foulés par de si grandes tribulations, comme on voit couler le marc des murmures et des blasphèmes des infidèles, on doit voir également s’exprimer et couler sans interruption l’huile de la prière et du repentir des âmes fidèles. Car à ceux qui ne cessent d’adresser à la foi chrétienne des reproches impies, et de dire qu’avant l’apparition de la doctrine du Christ le genre humain n’avait jamais souffert des calamités pareilles, on peut aisément répondre, l’Évangile à la main : « Le serviteur, dit le Seigneur, qui aura mal fait sans connaître la volonté de son maître sera peu châtié ; mais le serviteur qui aura connu la volonté de son maître et fait des choses dignes de châtiment, sera beaucoup puni[1]. » Pourquoi donc s’étonner si le monde, arrivé à des temps chrétiens, semblable au serviteur qui connaît la volonté de son maître et fait mal, est beaucoup châtié ? On remarque avec quelle promptitude l’Évangile s’étend sur la terre et l’on ne remarque pas avec quelle perversité on le méprise. Mais les serviteurs de Dieu, humbles et saints, qui souffrent doublement et par les impies et avec eux, ont des consolations et l’espérance du siècle futur ; ce qui a fait dire à l’Apôtre : « Les souffrances de ce temps ne sont pas proportionnées à la gloire future qui éclatera en nous[2]. »

3. Mon cher frère, vous ne pouvez, dites-vous, supporter les paroles de ceux qui répètent : Si nous, pécheurs, nous avons mérité ces maux, pourquoi des serviteurs de Dieu ont-ils péri sous le fer des Barbares, pourquoi des servantes de Dieu ont-elles été conduites en captivité ? Répondez-leur avec humilité, vérité et piété : Quelque justes que nous soyons, quelque obéissance que nous témoignions au Seigneur, pouvons-nous valoir mieux que les trois jeunes hommes jetés dans la fournaise ardente pour le maintien de la loi de Dieu ? Lisez cependant ce que disait Azarias, l’un des trois jeunes hommes, lorsque, ouvrant la bouche au milieu du feu, il chantait : « Seigneur, Dieu, de nos pères, vous êtes béni et digne de louanges, et votre nom est glorifié dans tous les siècles ; parce que vous êtes juste dans tout ce que vous avez fait pour nous, que toutes vos œuvres sont vraies, vos voies droites,  vos jugements justes ; vos jugements ont, été équitables dans tout ce que vous avez amassé sur nous et sur Jérusalem, la sainte cité de nos pères. Tout ce que vous avez fait contre nous, vous l’avez fait avec vérité et justice, à cause de nos péchés. Car nous avons péché et n’avons pas obéi à votre loi et nous n’avons pas gardé ce que vous nous aviez commandé pour notre bien ; et tout ce que vous avez fait tomber sur nous vous l’avez fait tomber avec justice. Vous nous avez livrés aux mains de nos ennemis, qui sont prévaricateurs, vous nous avez livrés au plus mauvais roi de la terre. Et maintenant nous ne pouvons pas ouvrir la bouche ; vraiment, nous « sommes devenus un sujet de confusion et d’opprobre pour vos serviteurs et pour

  1. Luc, XII, 47, 48.
  2. Rom. VI II, 1.