Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/23

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homme ne nous engage point à prendre le dimanche un repas modéré, sobre et chrétien, mais à chanter joyeusement dans une alogie et en battant des mains : « Vous avez rassasié, Seigneur, l’âme qui était vide, et vous avez abreuvé l’âme qui avait soif ! » Si nous ne péchons pas quand nous jeûnons, si le jeûne du samedi efface les souillures des six autres jours, il n’y a pas de plus mauvais jour que le dimanche et de meilleur que le samedi. Croyez-moi, mon très-cher frère, personne n’a jamais entendu la loi comme cet homme, si ce n’est celui qui ne l’entend pas du tout. En effet, ce qui perdit Adam, ce ne fut pas la nourriture, mais une nourriture défendue[1] ; il en est de même d’Esaü, petit-fils d’Abraham, qui laissa aller son appétit jusqu’au mépris du sacrement dont son droit d’aînesse était la figure[2] : les saints et les fidèles peuvent aussi manger saintement, comme le jeûne des sacrilèges et des incrédules peut n’être qu’un jeûne impie. Ce qui rend le dimanche préférable au samedi, c’est la foi de la résurrection et – non pas la coutume de manger ni la licence des chants bachiques.

13. « Moïse, dit votre auteur, resta quarante jours sans manger du pain ni boire de l’eau. » Et, pour nous montrer quel parti il entend tirer de ce souvenir, il ajoute : « Voilà Moïse, l’ami de Dieu, l’habitant de la nuée, le porteur de la loi, le conducteur du peuple, qui, en jeûnant six fois le samedi, n’a pas fait une œuvre mauvaise, mais une œuvre méritoire. » Comment ne voit-il pas lui-même ce qu’on peut tout d’abord lui objecter ? Si de l’exemple de Moïse qui, dans ses quarante jours, jeûna six fois le samedi, il veut conclure qu’on doit jeûner le samedi, pourquoi ne conclut-il pas aussi qu’on doit jeûner le dimanche ? Car, durant les quarante jours, Moïse n’a pas moins jeûné que six dimanches. Mais l’auteur ajoute que « le jour du dimanche, avec le Christ, était réserve à l’Église qui devait prochainement s’établir. » Pourquoi dit-il cela ? je l’ignore. S’il faut jeûner beaucoup plus, parce que le jour : du dimanche est venu avec le Christ, on doit donc jeûner le dimanche, ce qu’à Dieu ne plaise ! Mais si l’auteur a craint l’objection du jeûne dominical et qu’il ait dit pour cela que « la solennité du dimanche était réservée à l’Église qui devait prochainement s’établir, » afin de faire comprendre que Moïse a jeûné le jour qui suit le samedi, parce que c’était avant le Christ à qui nous devons l’institution du dimanche où il ne convient pas de jeûner, pourquoi donc le Christ a-t-il jeûné aussi quarante jours ? Pourquoi, durant ce temps, n’a-t-il pas interrompu son jeûne à chaque lendemain du samedi, pour recommander le repas du dimanche avant même sa résurrection, comme il a donné son sang à boire avant sa passion ? Vous voyez que le jeûne de quarante jours que l’auteur rappelle, ne conclut pas plus en faveur du jeûne du samedi qu’en faveur du jeûne du dimanche.

14. L’auteur ne prend pas garde à ce qu’on peut lui objecter sur le dîner du dimanche, lorsqu’il applique au dîner du samedi, qui peut être sobre et modeste, tout ce qu’on a coutume de dire contre les festins désordonnés et les excès de table. Il n’est pas besoin de lui répondre en détail, car il n’attaque le dîner du samedi qu’en répétant les mêmes déclamations contre l’intempérance ; il ne trouve rien autre à dire que ce qui ne dit rien. La question est de savoir s’il faut jeûner le samedi et non point s’il faut être intempérant ce jour-là ; ceux qui craignent Dieu se gardent également de tout excès le dimanche,, sans qu’ils aient besoin pour cela de jeûner. Qui oserait dire avec cet homme. « Comment des choses qui nous forcent au péché dans le jour sanctifié pourront-elles nous être salutaires, et agréées de Dieu ? » Ainsi il déclare que le jour du samedi est sanctifié, et que les hommes sont poussés au péché parce qu’ils dînent ! Et la conclusion de ceci serait que le dimanche n’est pas un jour sanctifié et que le samedi commence à être meilleur, ou bien que, si le dimanche est aussi un jour sanctifié, on pèche dès qu’on dîne !

15. L’auteur redouble d’efforts pour donner à son opinion l’appui des témoignages divins ; mais ce genre de preuves lui manque. « Jacob, dit-il, mangea, il but du vin et fut rassasié, et il s’éloigna de Dieu son Sauveur, et vingt-trois mille tombèrent dans un seul jour[3]. » C’est comme s’il était dit : Jacob dîna le samedi et se retira de Dieu son Sauveur. Lorsque l’Apôtre rappelle la mort de tant de milliers d’hommes, il ne dit pas : Ne dînons pas le samedi comme ils dînèrent ; mais il dit : « Ne commettons pas le péché de fornication comme firent quelques-uns d’entre eux, et vingt-trois mille

  1. Gen. III, 6
  2. Ibid. XXV, 33-34
  3. Exod. XXXII, 6, 8, 28