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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/237

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pour qu’on puisse l’appeler tout et infini : tout, à cause de son intégrité ; infini, parce qu’il ne connaît pas de limites.

25. Ensuite, dit Cicéron, si Anaxagore veut que l’intelligence elle-même soit quelque animal, il faut qu’il y ait quelque chose d’intérieur qui puisse lui faire donner ce nom. Cette intelligence sera comme un corps ayant au dedans une âme d’où elle puisse tirer ce nom d’animal. Vous voyez comment Cicéron parle selon la coutume des impressions corporelles et selon la façon ordinaire de considérer les animaux ; c’est, je crois, à cause du sentiment grossier de ceux qu’il combat. Et cependant il dit une chose qui les frapperait suffisamment s’ils pouvaient se réveiller, savoir que tout ce qui s’offre à l’esprit sous la forme d’un corps vivant doit se représenter à nous bien plus comme ayant une âme et comme étant un animal que comme étant une âme. Car voici ce qu’il dit : Il faut qu’il y ait quelque chose d’intérieur qui puisse lui faire donner ce nom. Mais il ajoute : Qu’y a-t-il de plus intérieur que l’intelligence? L’intelligence ne peut donc pas avoir une âme intérieure pour devenir un animal, puisqu’elle est intérieure elle-même ; et si vous voulez en faire un animal, il faut qu’elle ait extérieurement un corps dont elle soit l’âme. C’est ce que dit Cicéron : Elle est donc revêtue d’un corps extérieur; comme si Anaxagore avait pensé qu’il ne peut y avoir d’intelligence sans qu’elle soit l’intelligence de quelque animal, et que Cicéron eût pensé que l’intelligente elle-même était l’a suprême sagesse qui n’est propre à aucun animal, parce que la vérité est commune à tous les esprits capables d’en jouir. Aussi voyez comment il conclut habilement : Puisqu’il n’est pas de cet avis, c’est-à-dire puisqu’Anaxagore n’est pas d’avis que l’intelligence qu’il appelle Dieu soit revêtue d’un corps extérieur et devienne ainsi animal, il semble que l’idée d’une pure et simple intelligence qui n’est unie à rien, c’est-à-dire à aucun corps par lequel elle puisse sentir, surpasse la force et l’étendue de notre intelligence(1).

26. Il est bien vrai que cela surpasse la force et l’étendue de l’intelligence des stoïciens et des épicuriens qui ne peuvent imaginer que des choses corporelles. Quand Cicéron a dit Notre intelligence, il a voulu entendre l’intelligence humaine ; et c’est avec raison qu’il ne dit point : surpasse, mais : semble surpasser; 1. De natura deorum, lib. I. car il leur semble que personne ne puisse le comprendre, aussi, croient-ils que rien de tel n’existe. Mais, quelques esprits comprennent, alitant qu’il est donné à l’homme, qu’il existe une sagesse et une vérité pure et simple, qui n’est propre à aucun animal ; mais qui est la source commune d’où descendent dans toute âme humaine capable de les recevoir, la sagesse et la vérité. Si Anaxagore a reconnu l’existence de ce principe souverain, s’il a vu qu’il est Dieu et s’il l’a appelé Intelligence ; ce nom d’Anaxagore dont tous les pédants, qu’on nous passe ce mot, font tant de bruit pour qu’on les croie versés dans l’antiquité, ne nous rend ni savants ni sages ; il n’y a pas davantage profit pour nous de savoir comment il est parvenu à cette vérité. La vérité ne doit pas m’être chère parce que Anaxagore ne l’a point ignorée, mais parce qu’elle est la vérité lors même qu’aucun philosophe ne l’aurait connue.

27. Si donc la connaissance d’un homme quai a peut-être vu la vérité ne doit pas nous enfler de façon à nous faire croire que nous soyons des savants, et si même nous n’avons pas à nous vanter d’une solide notion du vrai qui puisse réellement nous rendre savants, de quel moindre secours doivent être pour notre doctrine les noms et les enseignements des hommes qui sont tombés dans le faux, et comment pourraient-ils nous révéler les choses cachées ? Hommes, il nous conviendrait bien plus de déplorer les erreurs de tant d’hommes illustres lorsqu’on en parle devant nous, que d’en faire l’objet de nos studieuses recherches, pour faire parade de ces inutilités au milieu de ceux qui les ignorent. Combien ne vaudrait-il pas mieux que je n’eusse jamais entendu prononcer le nom de Démocrite, que d’avoir la douleur de penser que ce philosophe, dont ses contemporains firent je ne sais quel grand homme, professait sur l’origine des dieux de si étranges opinions ! Il croyait que les dieux étaient des images provenant de corps solides sans être solides elles-mêmes, et que ces images, en tournant çà et là de leur propre mouvement et en s’insinuant dans les esprits des hommes, leur donnaient l’idée de la force divine : il est pourtant évident que ce corps d’où coulerait l’image l’emporterait sur elle, en raison même de sa solidité. Aussi le sentiment de Démocrite, d’après ce qu’on dit, a été flottant et incertain ; parfois il appelait Dieu une certaine nature d’où coulaient les images ;