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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/244

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croire. Les infidèles ne croient pas aux miracles de Dieu, parce qu’ils n’en voient pas la raison. Et en effet, il y a des choses dont on ne peut pas rendre raison, mais qui cependant ont leur raison ; car, dans la nature des choses, qu’y a-t-il que Dieu ait fait irraisonnablement ? Il est bon du reste que la raison de quelques-unes de ses œuvres merveilleuses reste un peu de temps cachée, pour qu’elles ne perdent pas tout leur prix aux yeux des hommes qui, après avoir pénétré dans leurs secrets, ne seraient plus remués devant ces spectacles. Que de gens, et en grand nombre, qui sont plus occupés de l’admiration des choses que de la connaissance des causes où les prodiges cessent d’être des prodiges 1 Il faut les exciter à la foi des choses invisibles par des miracles visibles, afin qu’ils parviennent là où ils cesseront d’admirer en se familiarisant avec la vérité. Au théâtre, les hommes sont émerveillés d’un danseur de corde et se délectent à entendre les musiciens ; dans l’un la difficulté étonne, dans ceux-ci le plaisir attache, et l’âme s’en repaît.

6. J’ai dit ceci pour exhorter votre foi à l’amour de l’intelligence ; la vraie raison y conduit, et la foi y prépare le cœur. Il y a une raison qui a soutenu que, dans cette Trinité qui est Dieu, le Fils n’est pas coéternel au Père, ou qu’il est d’une autre substance, que le Saint-Esprit est dissemblable par quelque côté et par conséquent inférieur ; il y a aussi une raison qui a soutenu que le Père et le Fils sont d’une seule et même substance mais que le Saint-Esprit est d’une autre nature. Ce n’est point parce que la raison a inspiré ces sentiments qu’il faut les fuir et les détester ; c’est parce que la raison est ici une fausse raison ; si elle était la vraie, elle ne se tromperait pas. De même donc qu’il ne faut pas tourner le dos à tout discours parce qu’il y a de faux discours, ainsi vous ne devez pas vous séparer de la raison parce qu’il y a une fausse raison. J’en dirai autant de la sagesse. Il ne faut pas abandonner la sagesse parce qu’il y a une fausse sagesse, qui tient pour folie le Christ crucifié, le Christ vertu de Dieu et sagesse de Dieu : et c’est pourquoi il a plu à Dieu de sauver les croyants par cette folie de la prédication, car ce qui parait folie de la part de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes. Cela n’a pu être persuadé à quelques-uns des philosophes et des orateurs, qui suivaient non pas la voie de la vérité, mais le semblant de la vérité, et qui s’y trompaient eux-mêmes et trompaient les autres : quelques-uns pourtant l’ont compris. Pour ceux-ci, le Christ crucifié n’est ni un scandale ni une folie : ils font partie de ces Juifs et de ces Grecs, appelés à la foi, et pour lesquels le Christ est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu. Philosophes ou orateurs, ceux qui parla grâce de Dieu, ont compris la droiture du Christ en suivant sa voie, c’est-à-dire en marchant dans sa foi, ont humblement et pieusement avoué que les pécheurs, leurs premiers devanciers dans le chemin, se sont montrés au-dessus d’eux, non-seulement par la fermeté inébranlable de la foi, mais encore par la sûre intelligence de la vérité. Après avoir appris que ce qui était folie et faiblesse selon le monde était choisi pour confondre la force et la sagesse du siècle, après avoir reconnu la fausseté de leur savoir et la faiblesse de leur force, ils ont été couverts d’une salutaire confusion et sont devenus insensés et faibles c’est ainsi qu’appuyés sur une folie et une faiblesse divines, bien supérieures à la sagesse et à la force des hommes, ils ont voulu prendre rang parmi ces élus faibles et insensés et devenir véritablement sages et puissamment forts[1].

7. Devant quoi la piété fidèle rougit-elle, si ce n’est devant la vraie raison, lorsqu’elle nous porte à renverser une certaine idolâtrie que la faiblesse de la pensée humaine s’efforce d’établir dans notre cœur, par l’impression accoutumée des choses visibles, et à ne plus regarder la Trinité, que nous adorons invisible, incorporelle et immuable, comme trois masses vivantes ? Malgré la grandeur et la beauté qu’on leur prête, elles n’occupent que des espaces qui leur sont propres et restent voisines sans se confondre, soit que l’une d’elles, placée au milieu, ait les deux autres à ses côtés ; soit que l’imagination les établisse en triangle, et-, sous cette forme, les rapproche toutes les trois. Ces grandes masses des trois personnes, circonscrites de tous côtés, ne sont pas divines de leur propre fond ; il est en dehors des trois personnes une sorte de quatrième divinité qui leur est commune à toutes et qui est comme leur esprit divin ; elle est tout entière dans toutes les trois et chacune d’elles en particulier ; et c’est ainsi qu’on parvient à faire d’une même Trinité un seul Dieu. Les trois personnes ne sont que dans les cieux,

  1. I Cor. I, 21-29.