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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/25

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18. « Pourquoi, dit-il, nous en coûte-t-il d’offrir au principal Seigneur un sacrifice qui lui est cher, un sacrifice que l’esprit désire et que l’ange loue ? » Et il ajoute cette parole de l’ange : « La prière est bonne avec le jeûne et l’aumône[1]. » Je ne sais ce qu’il a voulu dire par le principal Seigneur ; le copiste s’est peut-être trompé à votre insu, et vous n’aurez pas corrigé la faute dans la copie que vous m’avez envoyée. L’auteur appelle le jeûne un sacrifice cher au Seigneur, comme si le jeûne était ici en question, et qu’il ne s’agît pas uniquement du jeûne du samedi. Quoiqu’on ne jeûne pas le dimanche, on ne laisse pas d’offrir à Dieu le sacrifice qui lui est cher. Cet homme produit au profit de sa cause des témoignages qui y sont entièrement étrangers. « Offrez à Dieu, dit-il, un sacrifice de louange[2]. » Et voulant, je ne sais comment, rattacher à son sujet ces mots d’un psaume divin, il ajoute : « Ce sacrifice est préférable au festin de viande et d’ivrognerie où, grâce au démon, ce sont les blasphèmes qui se multiplient, et non point les louanges dues à Dieu. » O imprudente présomption ! On n’offre pas le dimanche le sacrifice de louange, » parce qu’on ne jeûne point ; mais on s’y rend coupable d’ivrognerie et de blasphème ! Il n’est pas permis de dire cela. Le jeûne n’a rien de commun avec ces paroles : « offrez à Dieu un sacrifice de louange. » On ne jeûne pas en certains jours, surtout dans les jours de fêtes ; et chaque jour, dans tout l’univers, l’Église offre le sacrifice de louange. Il n’y a pas de chrétien, que dis-je ? pas d’insensé qui osera avancer que, durant les cinquante jours passés sans jeûne depuis Pâques jusqu’à la Pentecôte, le sacrifice de louange n’est plus parmi nous : c’est le seul temps où l’Alléluia se chante dans beaucoup d’Églises, et celui où dans toutes on le chante le plus souvent. Le plus ignorant des chrétiens ne sait-il pas que l’Alléluia est une parole de louange ?

19. Toutefois, l’auteur reconnaît que le repas du dimanche est joyeux sans excès, quand il dit qu’après les derniers encensements du samedi, nous devons, nous, sortis des Juifs et des Gentils, chrétiens nombreux de nom, mais élus en petit nombre, offrir en chantant le jeûne comme un sacrifice agréable à Dieu, au lieu du sang des victimes : le feu de ce sacrifice consumera nos fautes. « Que le matin d’ensuite, dit-il, Dieu nous écoute après avoir été écouté par nous, et il y aura des maisons pour manger et pour boire, non dans l’ivrognerie, mais dans une pure joie, avec toute la solennité qui, convient au jour du dimanche. » Ce ne sera donc plus une alogie, comme il le disait plus haut, mais une eulogie. J’ignore ce que lui a fait le samedi, que le Seigneur a sanctifié, pour croire qu’on ne puisse pas ce jour-là manger et boire sans excès ; car nous pouvons jeûner avant le samedi, comme il dit que nous devons jeûner avant le dimanche. Dîner deux jours de suite lui paraîtrait-il criminel ? Qu’il voie alors combien il outrage l’Église de Rome elle-même : dans les semaines où elle jeûne le mercredi, le vendredi et le samedi, elle dîne trois jours de suite : le dimanche, le lundi et le mardi.

20. « Il est certain, dit-il, que la vie des brebis dépend de la volonté des pasteurs. Mais malheur à ceux qui appellent mal le bien, qui appellent ténèbres la lumière, et lumière les ténèbres, qui appellent amer ce qui est doux et doux ce qui est amer[3] ! » Je ne comprends pas assez la signification de ceci. Si ces paroles ont le sens que vous supposez, votre Romain veut dire qu’à Rome le peuple, soumis à son pasteur, jeûne avec lui le samedi. S’il n’a dit cela que pour répondre à quelque chose de semblable que vous lui auriez écrit, qu’il ne vous persuade pas de louer une ville chrétienne jeûnant le samedi, au point de condamner le monde chrétien qui dîne ce jour-là. Lorsqu’il dit avec Isaïe : « Malheur à ceux qui appellent mal le bien, qui appellent ténèbres la lumière et lumière les ténèbres, qui appellent amer ce qui est doux et doux ce qui est amer ! » lorsqu’il veut faire entendre que le jeûne du samedi c’est le bien, la lumière et, le doux, et que le dîner c’est le mal, ce sont les ténèbres, c’est l’amer, il condamne les chrétiens de tout l’univers, puisqu’ils dînent le samedi. Il ne se voit plus lui-même et ne songe pas que ses propres écrits pourraient le sauver de cette audace inconsidérée. Car il ajoute avec l’Apôtre : « Que personne ne vous juge dans le boire et le manger[4] » c’est ce qu’il fait lui-même en blâmant ceux qui mangent et boivent le samedi. Il pouvait se souvenir aussi de cette parole du même Apôtre : « Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange point ; et que, celui qui ne mange point ne

  1. Tobie, XII, 8
  2. Psa. XLIV, 14
  3. Isaïe, V, 20.
  4. Coloss. II, 16