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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/253

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difficultés tirées des Évangiles ; je ne vous dirai pas toutes celles qui se présentent à l’esprit durant les loisirs d’une lecture attentive (maintenant je n’aurais pas le temps de chercher dans les livres ou de chercher dans nies souvenirs), mais je me bornerai au peu qui s’offre à ma pensée pendant que je dicte cette lettre. Durant votre hiver à Carthage, vous m’avez écrit, en réponse à ma seconde demande, une lettre courte, mais pleine des enseignements de la foi sur la résurrection[1] ; je vous prie de me l’envoyer si vous l’avez conservée sur vos tablettes, ou au moins d’en reprendre pour moi le sens ; vous le pouvez aisément. Quand même cette lettre ne se trouverait plus entre vos mains et que vous auriez dédaigné de lui faire place parmi vos ouvrages à cause de sa brièveté et de sa rédaction trop rapide, je vous demanderais d’en tirer la substance du trésor de votre cœur et de me l’adresser avec d’autres réponses que j’attends de vous ; car, je l’espère, le Christ prolongera vos jours et les miens, afin que je profite du fruit de votre travail pour ces endroits de l’Écriture sur lesquels je vous ai consulté, vous qui voyez comme par l’œil de Dieu lui-même et par qui ou en qui j’entendrai ainsi ce que Dieu me dira.

15. Expliquez-moi, je vous prie, comment et pourquoi le Seigneur, après sa résurrection, n’a pas été reconnu et l’a été, d’abord par les femmes qui, les premières, sont venues au sépulcre, puis par les deux disciples sur le chemin d’Emmaüs, et après par ses autres disciples à Jérusalem[2]. Car il a ressuscité avec le même corps dans lequel il a souffert. Et pourquoi donc la forme de son corps n’était-elle pas la même ? et si elle était la même, pourquoi ceux qui l’avaient vue auparavant ne la reconnurent-ils pas ? Il y a, je crois, quelque signification mystérieuse à n’avoir pas été reconnu par ceux qui marchaient dans le chemin et à s’être révélé dans la fraction du pain. Cependant c’est votre sentiment, et non le mien, que je veux suivre.

16. Le Seigneur dit à Marie : « Ne me touchez pas, car je ne suis point encore monté vers mon Père[3]. » S’il ne lui était pas permis de le toucher lorsqu’il était debout devant elle, comment l’aurait-elle touché après son ascension, à moins que ce ne soit par le progrès dans la foi et l’élévation de l’âme qui rapproche ou éloigne Dieu de l’homme, et que Marie n’ait douté du Christ, qu’elle avait pris pour un jardinier ? C’est pour cela peut-être qu’elle mérita qu’il lui fût dit : « Ne me touchez pas. » Elle n’était pas jugée digne de toucher de la main le Christ qu’elle n’embrassait pas encore par la foi, qu’elle ne reconnaissait pas pour Dieu, puisqu’elle le prenait pour un jardinier ; et pourtant, un peu auparavant, les anges lui avaient dit « Pourquoi cherchez-vous au milieu des morts celui qui est vivant[4] ? » « Ne me touchez donc pas, car, pour vous, je ne suis point encore monté vers mon Père. » Ce qui voulait dire : Je ne vous parais encore qu’un homme : vous me toucherez plus tard, quand la foi vous aura élevée jusqu’au point de reconnaître qui je suis.

17. Dites-moi aussi comment vous comprenez les paroles du bienheureux Siméon, pour que je m’attache à votre sentiment. Étant venu au temple, par un mouvement de l’Esprit divin, afin devoir le Christ en face, d’après l’oracle de Dieu, et l’ayant reçu dans ses bras, il bénit le Seigneur enfant et dit à Marie : « Voici celui qui est établi pour la ruine et la résurrection de plusieurs en Israël, et il sera un signe de contradiction ; un glaive percera votre âme pour que les pensées de plusieurs cœurs soient manifestées[5]. » Faut-il croire que Siméon ait prophétisé ici quelque passion de Marie qui n’a été écrite nulle part ? Annonçait-il à Marie les angoisses qui l’attendaient au pied de la croix où serait attaché Celui qu’elle avait enfanté, alors que, comme une épée à deux tranchants, la croix atteindrait en même temps son Fils selon la chair, en son âme maternelle ? Car je vois dans les Psaumes qu’il a été dit sur Joseph : « Ils l’humilièrent par des chaînes mises à ses pieds ; le fer transperça son âme[6]. » comme Siméon dit dans l’Évangile : « Et un glaive transpercera votre âme. » Il ne dit pas votre chair, mais votre âme, parce que là est le sentiment, et que la pointe de la douleur la déchire comme un glaive, soit quand on est outragé dans son corps, comme Joseph qui ne souffrit pas la mort, mais les injures, qui l’ut vendu ainsi qu’un esclave, enchaîné, emprisonné ; soit quand on est torturé dans son cœur comme Marie, lorsque le sentiment maternel la conduisit au pied de la croix du Seigneur, en qui elle ne voyait que son Fils, pour pleurer sa mort avec toute la faiblesse humaine, et s’occuper de sa sépulture ; elle ne pensait pas qu’il dût ressusciter, parce qu’une douleur profonde, en face de la Passion, cachait à ses yeux la foi de la merveille qui devait suivre. Voyant sa mère debout au pied de la croix, le Seigneur la consola non point avec les tremblantes faiblesses d’un mourant, mais avec la fermeté de celui qui meurt parce qu’il le veut ; de celui qui tient la mort en sa puissance, qui vit en pleine vie et qui est certain de sa résurrection. Il dit à Marie, en lui montrant d’un regard l’apôtre Jean : « Femme, voilà votre fils ; » et il dit à Jean qui était là : « Voilà votre mère[7]. » Au moment où la mort sur la croix allait le faire passer de la fragilité humaine, qui l’avait fait naître d’une femme, à l’éternité de Dieu et à la gloire de son Père, il délègue à un homme les droits de la piété humaine et choisit le plus jeune de ses disciples pour confier, comme il convient, une mère vierge à un apôtre vierge. Il y a ici deux enseignements pour nous d’abord le Seigneur nous laisse un exemple de piété filiale lorsqu’il s’occupe ainsi de sa mère ; en se séparant d’elle par le corps, il ne s’en séparait pas par ses soins ; mais il n’allait même pas la quitter véritablement, puisqu’elle devait bientôt retrouver, par la résurrection, celui qu’elle voyait mourir sur la croix. Le second enseignement devait appartenir à la foi de tous : c’est par une secrète raison du conseil divin que le Seigneur choisit ces paroles pour donner à sa mère un touchant

  1. Ci-dessus, lett. 95, pag. 161.
  2. Luc. XXIV, 16.
  3. Jean, XX, 17.
  4. Luc. XXIV, 6.
  5. Luc. II, 34, 35.
  6. Ps. CIV, 18.
  7. Jean. XIX, 26, 27.