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392 LETTRES DE SAINT AUGUSTIN. — TROISIÈME SÉRIE. LETTRE CLIV. (Année 414.) Le vicaire d’Afrique exprime à saint Augustin ses sentiments de respectueuse admiration ; il avait reçu et lu les trois pre- miers livres de la Cité de Dieu. MACÉDONIUS A SON VÉNÉRABLE SEIGNEUR ET CHER PÈRE AUGUSTIN, ÉVÉQUE. 1. Je suis merveilleusement frappé de votre sa- gesse , soit que je lise vos ouvrages, soit que je lise ce que vous avez bien voulu ra’envoyer sur les intercessions en faveur des criminels. Je trouve dans vos ouvrages tant de pénétration, de science, de sainteté qu’il n’y a rien au delà ; et tant de ré- serve dans votre lettre que si je ne faisais pas ce que vous demandez , je croirais presque que le seul coupable de l’affaire c’est moi, ô vénérable seigneur et cher Père. Car vous n’insistez point comme la plupart des gens de ce lieu , et vous n’arrachez pas de force ce que vous désirez ; mais lorsque vous croyez devoir vous adresser à un juge accablé de tant de soins, vous exhortez avec une réserve qui vient en aide à vos paroles, et qui, au- près des gens de bien, est la plus puissante manière de vaincre les difficultés. C’est pourquoi je me suis hâté d’avoir égard à votre demande : je l’avais déjà fait espérer. 2. J’ai lu vos livres *, car ce ne sont pas de ces œuvres languissantes et froides qui souffrent qu’on les quitte ; ils se sont emparés de moi, m’ont en- levé à tout autre soin et m’ont si bien attaché à eux (puisse Dieu m’èlre ainsi favorable !), que je ne sais ce que je dois le plus y admirer, ou la perfec- tion du sacerdoce, ou les dogmes de la philoso- phie , ou la pleine connaissance de l’histoire, ou l’agrément de l’éloquence ; votre langage séduit si fortement les ignorants eux-mêmes qu’ils n’inter- rompent pas la lecture de vos livres avant de l’avoir achevée, et qu’après avoir hni ils recom- mencent encore. Vous avez prouvé à nos adver- saires, impudemmentopiniàtres, que dans ce qu’ils appellent les siècles heureux, il est arrivé de plus grands maux dont la cause est cachée dans l’obscu- rité des secrets de la nature, et que les fausses fé- licités de ces temps ont conduit, non point à la béatitude, mais aux abimes ; vous avez montré que notre religion et les mystères du Dieu véritable, sans compter la vie éternelle promise aux hommes vertU :eux , adoucissent les inévitables amertumes de la vie présente. Vous vous êtes servi du puissant exemple d’un malheur récent ^ ; toutefois, malgré les fortes preuves que vous en lirez au profit de notre cause , j’aurais voulu, si c’eût été possible ; , qu’il ne vous eût pas servi ^. Mais cette calamité ayant donné lieu à tant de plaintes folles de la paît de ceux qu’il fallait convaincre, il était devenu ’ Les trois premiers livres de la Cité de Dieu. ’ La chute de Rome. ’ On voit ici combien les âmes chrétiennes les meilleures avaient été émues et troublées de la prise de Rome par les Barbares. nécessaire de tirer de cette catastrophe même des preuves de la vérité. 3. Voilà ce que j’ai pu vous répondre sous le poids de tant d’occupations ; elles sont vaines si on considère à quoi aboutissent les choses hu- maines, mais elles ont pourtant leur nécessité dans les jours mortels qui nous sont faits ici-bas. S’il m’est accordé du loisir et de la vie, je vous écrirai aussi d’Italie pourvous marquer tout ce que m’ins- pire un ouvrage d’une si grande science, sans que je puisse cependant payer jamais toute ma dette. Que le Dieu tout-puissant garde votre sainteté en santé et en joie durant une très-longue vie, ô dé- sirable seigneur et cher Père. LETTRE CLV. (Année 414.) Toutes les beautés de la pliilosophie chrétienne se trouvent dans cette lettre où saint Augustin entretient Macédonius des conditions de la vie heureuse et des devoirs de ceux qui sontà la tête des peuples. Cette lettre est pleine de choses admirables ; elle établit les fondements de la politique chrétienne. AUGUSTIN, ÉVÊQUE, SERVITEUR DU CHRIST ET DE SA FAMILLE , A SON CHER FILS MACÉDONIUS , SALUT DANS LE SEIGNEUR. 1. Quoique Je ne reconnaisse pas en moi la sagesse que vous m’attribuez, j’ai pourtant de nombreuses actions de grâces à rendre à l’af- fection si vive et si sincère que vous me té- moignez. J’ai du plaisir à penser que les fruits de mes études plaisent à un homme tel que vous ; j’en éprouve bien davantage à voir votre cœur s’attacher à l’amour de l’éternité, de la vérité et de la charité même, à l’amour de ce céleste et divin empire dont le Christ est le souverain, et où seulement on vivra toujours heureux, si on a bien et pieusement vécu en ce monde ; je vois que vous vous en approchez, et je vous aime à cause de votre ardent désir d’y parvenir. De là découle aussi la véritable amitié, amour tout gratuit qui ne tire pas son prix des avantages temporels. Car personne ne peut être véritablement l’ami d’un homme s’il ne l’a été premièrement de la vérité, et si ce der- nier amour n’est gratuit, il ne peut exister d’aucime manière. 2. Les philosophes aussi ont beaucoup parlé là-dessus ; mais on ne trouve pas en eux la vraie piété, c’est-à-dire le vrai culte du vrai Dieu d’où il faut tirer tous les devoirs de bien vivre ; je pense que leur erreur ne vient pas d’autre chose sinon qu’ils ont voulu se fabri- quer en quelque sd^te de leur propre fond une vie heureuse et qu’ils ont cru devoir la