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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/47

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de notre côté que les traditeurs étaient plutôt les chefs du parti de Donat, et que si, sur ce point, ils refusaient d’accepter les témoignages des nôtres, ils ne pouvaient nous forcer d’accepter les leurs. [1]

6. Il produisit alors un certain livre par lequel il voulait me montrer que le concile de Sardique[2] avait adressé des lettres à des évêques africains, du parti de Donat. Pendant qu’il lisait, nous entendîmes le nom de Donat parmi les noms des évêques à qui le concile de Sardique avait écrit. Nous le priâmes de nous dire si ce Donat était le même dont ceux de son parti portaient le nom, parce qu’il aurait pu arriver qu’on eût écrit à un Donat appartenant à quelque autre hérésie, d’autant plus que dans ces lettres il n’était pas question de l’Afrique. Comment aurait-il pu prouver qu’il fallait reconnaître dans ce Donat le chef du parti donatiste, lorsqu’il ne pouvait pas même prouver que les lettres fussent spécialement adressées à des évêques d’Afrique ? Quoique le nom de Donat soit un nom africain, il ne répugnerait pas à la vérité que quelqu’un du pays de Thrace portât un nom africain, ou que quelque évêque africain résidât dans cette contrée ; d’ailleurs nous ne trouvions dans ces lettres ni jour ni année, et il nous était impossible, en nous reportant au temps, de rien apprendre de certain. Mais nous avions entendu dire que les ariens, séparés de l’Église catholique, avaient essayé d’associer à leur schisme les donatistes en Afrique, et ce fut mon frère Alype qui me rappela cela à l’oreille ; prenant alors ce livre, et regardant les décrets de ce même concile, j’y trouvai qu’il avait condamné Athanase, évêque catholique d’Alexandrie, dont la lutte contre les ariens fut si éclatante, et Jules, évêque non moins catholique de Rome[3]. Nous comprîmes alors que ce concile avait été tenu par des ariens, auxquels résistaient fortement ces mêmes évêques catholiques. Nous voulions prendre ce livre et l’emporter avec nous pour l’examiner plus attentivement, mais Fortunius nous le refusa, disant que nous l’aurions toujours là quand nous voudrions y chercher quelque chose. Je le priai au moins de me permettre d’y faire une marque de ma main ; je craignais, je l’avoue, qu’au moment où j’aurais besoin de demander ce livre, on ne me présentât pas le même ; Fortunius s’y refusa encore.

7. Il me pressa ensuite de lui répondre brièvement sur la question de savoir lequel je croyais juste, celui qui persécutait ou celui qui souffrait persécution. Je lui répondis que la question ne devait pas être posée de la sorte, car il était possible que tous les deux fussent injustes, possible aussi qu’un plus juste poursuivît celui qui l’était moins ; il n’est pas exact de dire qu’on est juste parce qu’on souffre persécution, quoique le plus souvent il puisse en être ainsi. Voyant que Fortunius tenait beaucoup à l’idée d’établir la justice de sa cause, par la raison que sa cause avait été persécutée, je lui demandai s’il croyait qu’Ambroise, évêque de Milan, fût juste et chrétien ; il était forcé de le nier, car, s’il l’eût avoué, nous lui aurions aussitôt objecté pourquoi il pensait, lui Fortunius, qu’il fallût rebaptiser Ambroise. Comme il était contraint de ne pas reconnaître qu’Ambroise fût chrétien et juste, je lui rappelai la persécution soufferte par l’évêque de Milan dans son église, qu’assiégeaient des hommes armés. Je lui demandai aussi s’il

  1. Mettant de côté cette question incertaine, je demandais avec quelle justice ils avaient pu se séparer des chrétiens demeurés fidèles à l’ordre de succession dans toute la terre, établis dans les Églises les plus anciennes du monde, et qui ignoraient complètement lesquels avaient été traditeurs en Afrique ; assurément, ils ne pouvaient rester en communion qu’avec ceux qu’on leur disait assis sur les sièges épiscopaux. Fortunius répondit que les Églises d’outre-mer étaient restées innocentes jusqu’au moment où elles avaient consenti à la sanglante persécution macarienne. Il m’eût été aisé de lui dire que l’innocence des Églises d’outre-mer n’avait pu être atteinte par les souvenirs du temps macarien, car il est impossible de prouver leur complicité dans les actes accomplis à cette époque ; mais, pour être plus court, j’aimai mieux lui demander, si les Églises d’outremer, ayant perdu leur innocence par cette prétendue complicité, il pouvait au moins me prouver que, jusqu’à tees temps de persécution macarienne, les donatistes étaient restés en communion avec les Églises d’Orient et les autres Églises de l’univers.
  2. Il ne faut pas confondre ce concile avec le fameux concile de Sardique, tenu en 347, et où plus de trois cents évêques d’Orient et d’Occident proclamèrent la vérité de la doctrine de saint Athanase contre les Ariens.
  3. Saint Jules Ier, élu pape le 6 février 337, et mort le 12 avril 352. Sa lettre aux Eusébiens, partisans d’Arius, passe pour un des beaux monuments de l’antiquité chrétienne.