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510 LETTRES DE SAINT AUGUSTIN. — TROISIÈME SERIE. poser quelque chose de digne d’être lu par vous et de vous être adressé ; mais j’ai mieux aimé vous écrire d’une manière quelconque, que de passer encore cet été sans payer ma dette. Je n’ai ni tremblé ni hésité en présence de votre rang si haut ; votre bienveillance m’est plus douce que votre dignité ne m’est redoutable. Mais ce qui fait que je vous aime fait aussi que je trouve i)l(is difficilement de quoi suffire à l’avidité de votre religieux amour. ’2. S ;ms compter ici cette ardeur de charité mutuelle qui nous fait aimer ceux que nous n’avons jamais vus quand nous croyons qu’ils ont ce que nous aimons, et qui vous a porté à me prévenir de façon à me faire craindre que vous ne soyez trompé dans votre opinion et dans votre attente ; sans compter cela, dis-je, vous me proposez dans votre lettre des ques- tions si difficiles que, de quelque part qu’elles me vinssent, elles ne seraient pas pour moi une petite affaire à cause de mon peu de loisir. Mais lorsque ces questions partent d’un homme qui ne se contente pas de solutions superficielles, d’un homme aussi accoutumé que vous l’êtes à la méditation et à la profon- deur, et qu’elles s’adressent à un homme aussi occupé des intérêts d’autrui, et aussi chargé, aussi accablé de soins que moi ; je m’en rap- porte à votre sagesse et à votre bonté pour me faire pardonner le retard de ma réponse ou ce qu’elle pourrait avoir de trop au-dessous de la grandeur de votre espérance. 3. Vous demandez « conunent on doit croire « que se trouve maintenant dans le ciel Jésus- « Christ homme, médiateur entre Dieu et les « hommes, lui (jui, près de mourir, attaché à « la croix, dit au bon laron : Tu seras aujour- « (Thui avec moi en paradis. » Et vous dites que peut-être il faut entendre que le paradis est placé dans quehiue partie du ciel, ou que, de même que Dieu est partout, l’homme-Dieu est aussi partout, et (ju’en conséquence, il a pu être également dans le juuadis. 4. Ici je vous demande ou plutôt je vois comment vous comprenez l’humanité du Christ. Vous ne la comj)renez pas comme certains hé- rétiques qui prétendent que le Christ est le Verbe de Dieu uni à un corps sans âme hu- maine, en sorte que le Verbe soit dans ce corps à la place de l’àme, ou (jue le Verbe de Dieu soit uni à une àme et à un corps, mais sans intelligence humaine , en sorte que le Verbe de Dieu soit l’intelligence de cette âme’* Ce n’est pas ainsi que vous comprenez l’huma- nité du Christ, mais, selon vos paroles, vous croyez que le Christ est le Dieu tout-puissant, et vous ne le croiriez pas Dieu si vous ne le croyiez homme parfait. En le disant homme parfait, vous entendez assurément qu’il s’est revêtu de la nature humaine tout entière ; or, il ne serait pas homme parfait si l’àme man- quait à son corps ou l’intelligence à son âme. 5. Si donc nous pensions que ce fût en tant qu’homme que le Christ eût dit au bon larron : « Tu seras aujourd’hui avec moi en paradis, » on ne pourrait pas conclure de ces paroles que le paradis fût dans le ciel ; car, le jour de sa mort, Jésus-Christ ne devait pas se trouver au ciel comme homme ; son âme devait être dans les enfers, et son corps dans le tombeau. Cette sépulture de son corps est très-évidemment rapportée dans l’Evangile ; pour ce qui est de la descente de son âme dans les enfers, nous avons l’enseignement apostolique. Le bien- heureux Pierre, en effet, cite en faveur de cet événement ce témoignage des psaumes, qu’il démontre en avoir été la prédiction : « Vous « ne laisserez pas mon âme dans les enfers, et « vous ne permettrez point que votre saint « éprouve la corruption ^ » Ce passage s’ap- plique à la fois à l’âme qui n’a pas été laissée dans les enfers puisqu’elle en est sitôt revenue, et au corps qu’une résurrection prompte a dérobé aux atteintes de la corruption. Mais personne n’imagine que le mot de paradis signifie ici le sépulcre. Et si quelqu’un poussait l’absurdité jusqu’à soutenir ce sentiment par la raison que le tombeau du Christ était dans un jardin, on lui ferait changer d’avis en lui rap[)eiant que le larron à qui il fut dit : « Au- « jourd’hui tu seras avec moi dans le paradis, » ne fut pas déposé dans le même sépulcre que le Christ. D’ailleurs, ce n’eût pas été une grande récompense à promettre au larron con- verti que de lui annoncer le repos de la tombe sans joie ni douleur, quand il souhaitait un repos dont il pût ressentir l’ineffable bonheur. (■). Si donc c’est en tant qu’homme que le Christ a dit : « Tu seras aujourd’hui avec moi en paradis, » il n’est pas possible d’entendre que ce paradis soit ailleurs que dans les enfers où devait descendre le même jour l’âme • Saint Augustin veut parler des ariens, et aussi des appollinaristeg (jui furent condamnés à Alexandrie en 362, à Kome en 377, à An- tioche en 378, et, dans le second concile œcuménique, en 381. ’ Ps. XT, 10 ; Act. II, 27.