Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/568

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pas signifier un court espace comme la durée d’un jour ou d’une heure, surtout si nous faisons attention au sens de l’expression grecque traduite dans notre langue. Les mots latins n’ont pas pu reproduire le texte original avec une parfaite exactitude, car on lit ici dans le grec : Κρὀνους ἣ καιροὺς. Nous traduisons ces deux mots par les temps, quoiqu’il y ait entre les deux termes une différence de sens qu’il ne faille pas négliger. Les Grecs appellent καιροὺς, certains temps, non pas de ceux qui s’écoulent dans le cours des âges, mais les temps où il convient de faire ou de ne pas faire quelque chose : comme la moisson, la vendange, la chaleur, le froid, la paix, la guerre et autres choses semblables. Κρὀνους désigne le cours des temps.

3. Quand les apôtres interrogèrent Notre-Seigneur, ce ne fut pas assurément pour connaître le dernier jour ni la dernière heure du monde ; mais ils lui demandèrent si c’était alors le temps opportun où le royaume d’Israël serait rétabli. Et voici la réponse du Sauveur : « Personne ne peut connaître les temps que le Père a mis en sa puissance. » Le texte grec porte : Κρὀνους ἣ καιροὺς. Si on avait traduit en latin par des mots qui signifiassent les temps ou ce qui vient à temps, on n’aurait pas rendu exactement le sens de ces deux mots ; car le mot καιροἱ s’entend également de ce qui vient à temps ou à contre-temps. Je crois donc que calculer les temps κρὀνους, pour savoir la fin du monde ou l’avènement du Seigneur, ce serait vouloir connaître ce que Jésus-Christ lui-même a dit que personne ne pouvait savoir.

4. Pour ce qui est du temps marqué, il n’arrivera pas avant que l’Évangile soit prêché au monde entier pour servir de témoignage à toutes les nations. Rien de plus clair que cette parole du Sauveur : « Cet Évangile sera prêché à toute la terre pour servir de témoignage à toutes les nations, et alors la fin viendra[1]. » Alors la fin viendra n’est-ce pas dire qu’elle ne viendra pas avant ? Combien de temps viendra-t-elle après ? C’est là une chose incertaine. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle n’arrivera pas auparavant. Si des serviteurs de Dieu entreprenaient de parcourir l’univers pour se rendre compte de ce qui reste de nations auxquelles l’Évangile n’a pas été annoncé, nous pourrions nous faire quelque idée des temps qui s’écouleront d’ici à la fin. Mais si, à cause de tant de lieux inaccessibles et barbares, un pareil projet est inexécutable ; s’il est impossible d’apprendre avec exactitude combien il y a encore de nations sans l’Évangile du Christ ; je crois beaucoup moins aisé de découvrir dans les Écritures quel espace de temps nous sépare de la fin du monde, puisque nous lisons dans les saints Livres : « Personne ne peut connaître les temps que le Père a mis en sa puissance. » Ainsi, lors même qu’on viendrait nous apprendre d’une manière certaine que l’Évangile a été prêché à toutes les nations, nous ne pourrions pas dire ce qui reste de temps avant la fin, nous ne pourrions que penser que la fin approche de plus en plus. On nous répondra peut-être qu’il a fallu peu de temps pour prêcher l’Évangile aux nations romaines, à la plupart des nations barbares, que la conversion de quelques-unes d’entre elles à la foi du Christ a été prompte, et qu’il est permis de croire que d’ici à peu d’années, l’Évangile aura pénétré partout ; on pourra nous dire que, nous qui sommes déjà vieux, nous ne le verrons point, mais que ceux qui sont aujourd’hui jeunes le verront quand ils seront parvenus à la vieillesse. Mais il sera plus facile de montrer cela quand ce sera fait, qu’il ne l’est de le découvrir dans les saintes Écritures, avant que cela arrive.

5. Voilà ce que j’ai été obligé de dire au sujet de l’opinion d’un certain commentateur que le prêtre Jérôme accuse aussi de témérité pour avoir osé prétendre que les Semaines de Daniel concernent le second avènement du Christ et non pas le premier. Si en considération de vos mérites, Dieu révèle ou a révélé quelque chose de meilleur à la sainte humilité de votre âme, je vous demande de vouloir bien me le communiquer : recevez cette réponse comme celle d’un homme qui aimerait mieux savoir que d’ignorer les choses que vous m’avez demandées ; mais parce que je n’ai pas pu les pénétrer encore, je préfère avouer mon ignorance que d’enseigner ce qui ne serait pas la vérité.

  1. Matth. XXIV, 14