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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/572

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3. Aussi lisons-nous dans l’évangile de saint Marc : « Veillez, parce que vous ne savez pas quand viendra le maître de la maison, si ce sera le soir ou au milieu de la nuit, ou au chant du coq, ou au matin : il ne faut pas qu’en arrivant tout à coup, il vous trouve endormis. Ce que je vous dis, je le dis à tous : veillez[1]. » Le Sauveur a dit à tous, n’est-ce pas à tous ses élus et bien-aimés qui appartiennent à son corps, à son Église ? Il n’a pas seulement parlé ainsi pour ceux qui avaient le bonheur de l’entendre, mais aussi pour ceux qui furent de ce monde après ses disciples et avant nous, et pour nous-mêmes et pour ceux qui viendront après nous jusqu’au dernier avènement. Est-ce que ce dernier jour du monde doit nous trouver tous dans cette vie ? Est-ce que c’est aussi aux morts que s’adressaient ces paroles : « Veillez, de peur que le Maître, arrivant tout à coup, ne vous trouve endormis ? » Pourquoi donc le Seigneur parle-t-il « à tous, » si ce n’est dans le sens que je viens d’indiquer ? Le dernier jour viendra pour chacun, quand viendra le jour où il sortira de la vie dans le même état où le trouvera le jugement dernier. Tout chrétien doit donc veiller afin que l’avènement du Seigneur ne le surprenne pas sans être préparé. Or, celui-là ne sera pas trouvé prêt au dernier jour du monde, qui n’aura pas été trouvé prêt au dernier jour de sa vie. Les apôtres savaient au moins, certainement, que le Seigneur ne viendrait pas pendant qu’ils seraient encore en ce monde ; et cependant, qui peut douter qu’ils se soient montrés vigilants et observateurs fidèles de la recommandation divine, de peur que le Maître, arrivant tout à coup, ne les surprît sans être préparés ?

4. Je ne sais pas encore bien comment il faut entendre ce que votre sainteté écrit au sujet de ces paroles du Seigneur à ses apôtres : « Ce n’est pas à vous à connaître le temps ni les moments que le Père a mis en sa puissance. » Il vous semble en découvrir l’explication dans les paroles suivantes : « Mais vous serez mes a témoins à Jérusalem, dans la Judée, dans la Samarie et jusqu’au bout de la terre[2]. » Vous dites : « Le Seigneur n’entendait pas que les apôtres fussent les témoins de la fin du monde, mais les témoins de son nom et de sa résurrection. » Cependant le Seigneur ne dit pas : Ce n’est pas à vous à annoncer les temps, mais il dit : « Ce n’est pas à vous à connaître les temps. » Si vous voulez comprendre ceci comme une défense faite aux apôtres d’enseigner la fin des temps, qui de nous oserait l’enseigner ? Qui de nous aurait la présomption de savoir ce que Dieu n’a point appris à ses disciples, qui l’interrogeaient face à face, de savoir ce que de si saints et de si grands docteurs n’ont pas pu annoncer à l’Église ?

5. Nous répondra-t-on qu’il ne l’a point enseigné aux apôtres, mais aux prophètes ? C’est ce que vous dites, et il est vrai que « les choses futures sont connues par les paroles des saints prophètes ; ils ont annoncé aux hommes par la volonté divine, dites-vous, les choses à venir avant qu’elles arrivent. » Mais si votre révérence s’étonne « que les hommes ne puissent pas connaître ce que Dieu a voulu prédire, » vous devez vous étonner bien davantage qu’il n’ait pas été permis aux apôtres de savoir et d’enseigner ce que les prophètes avaient annoncé aux hommes. Si nous-mêmes nous pouvons comprendre les paroles par lesquelles les prophètes ont marqué la fin des temps, comment les apôtres ne les auront-ils pas comprises ? Et si les apôtres ont compris cette révélation prophétique des temps qui devaient s’écouler avant la fin du monde, comment n’ont-ils pas enseigné ce qu’ils ont compris, lorsque leur explication a fait connaître les prophètes eux-mêmes qui leur ont appris ces choses dans leurs livres ? Les mêmes écrits des prophètes qui ont servi aux apôtres pour ce qu’ils ont su de la fin du monde et dont ils ont loué l’autorité, ont pu servir à d’autres pour l’apprendre. Pourquoi leur a-t-il été dit que ce n’était pas à eux à savoir les temps, ou, si vous aimez mieux, à enseigner les temps que Dieu a mis en sa puissance, puisque les apôtres les enseignaient en ce sens que les écrits où l’on s’en instruisait étaient connus par eux ? Il est donc à croire, non pas que Dieu n’a point voulu que l’on sache ce qu’il a annoncé à l’avance, mais qu’il n’a pas voulu annoncer à l’avance ce qu’il jugeait inutile de savoir.

6. Vous demandez pourquoi le Seigneur nous avertit de prendre garde aux temps, lorsqu’il dit : « Quel est le serviteur fidèle et prudent que le Maître a établi sur les gens de sa maison, pour qu’il leur distribue la nourriture au temps voulu ? » Et le reste. Mais le Seigneur ne tient pas ce langage pour que le bon serviteur connaisse la fin des temps ; c’est

  1. Marc, XIII, 35, 27.
  2. Act. I, 7, 8