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DE L’ORDRE.


l’autorité pour s’appliquer aux bonnes mœurs et aux saints désirs, qui dédaignent ou sont incapables de se livrer à l’étude profitable des sciences libérales, je ne sais comment leur donner le nom d’heureux, pendant qu’ils sont parmi les hommes ; mais, je le crois fermement, sitôt qu’ils auront quitté ce corps, ils seront délivrés avec plus ou moins de facilité, selon que leur vie aura été plus ou moins irréprochable.

27. L’autorité est divine ou humaine ; mais l’autorité vraie, solide, souveraine, c’est l’autorité divine. Il faut ici redouter l’étonnante fourberie des animaux aériens. Soit en prédisant des choses qui sont du domaine des sens corporels, soit en produisant des effets où éclate une grande puissance, ils arrivent facilement à tromper les âmes qui sont ou désireuses des biens périssables, ou avides d’un pouvoir fragile, ou effrayés de vains prodiges. On doit donc regarder l’autorité comme divine, quand non-seulement elle surpasse tout pouvoir humain par des merveilles sensibles, mais quand, animant l’homme lui-même, elle lui montre jusqu’à quel point elle s’est abaissée pour lui.

Elle nous ordonne de nous affranchir des sens que frappent ces prodiges, et de nous élever jusqu’à l’intelligence ; elle nous montre en même temps, et ce qu’elle peut ici-bas, et pourquoi elle fait ces merveilles, et le peu de prix qu’elle y attache. Elle doit en effet nous manifester sa puissance par ses actes, sa clémence par ses abaissements, sa nature par les ordres qu’elle donne. C’est ce qui nous est présenté d’une manière plus profonde et plus solide dans les vérités sacrées auxquelles nous sommes initiés, et où la vie des hommes de bien se purifie beaucoup plus facilement, non par les subtilités de la dispute mais par l’autorité des mystères.

Quant à l’autorité des hommes, elle trompe souvent ; mais parmi eux, ceux-là paraissent à bon droit mériter plus de confiance, qui mettent à la portée du vulgaire des preuves plus nombreuses de leur doctrine, et qui ne vivent pas autrement qu’ils n’enseignent à vivre. S’ils sont, de plus, favorisés des dons de la fortune, qu’ils soient grands à en user, plus grands encore à les mépriser, comment blâmer la confiance donnée aux règles de vie qu’ils enseignent ?

CHAPITRE X.
PEU CONFORMENT LEUR VIE AUX PRÉCEPTES DIVINS.

28. Alype me dit alors : Quel grand modèle de vie tu nous places sous les yeux ! Tu as tout dit en peu de mots ; nous sommes chaque jour avides de tes leçons ; mais aujourd’hui tu nous as inspiré plus de zèle encore et plus d’ardeur pour ce genre de vie. Je voudrais y voir parvenir et s’y attacher intimement, s’il était possible, non-seulement nous, mais encore tous les hommes : ces préceptes deviendraient aussi faciles à suivre qu’ils sont admirables à entendre. Comment, hélas ! se fait-il, puisse ce malheur s’éloigner de nous ! Comment se fait-il qu’en entendant ces règles, l’esprit humain les proclame célestes, divines, entièrement vraies, et qu’il agisse différemment quand il faut y atteindre ? Aussi je suis profondément convaincu que, pour vivre ainsi, il faut des hommes divins ou un secours divin.

Je répondis : Actuellement, Alype, c’est ma parole qui exprime ces règles de vie, que tu accueilles avec tant de plaisir, comme toujours, mais elles ne sont point de mon invention, tu le sais parfaitement. Elles remplissent les livres d’hommes grands et presque divins ; et cette observation, je la dois non pas à toi, mais à ces jeunes gens qui auraient quelque droit de les dédaigner, si elles ne reposaient que sur mon autorité. Jamais je ne leur demanderai de m’en croire, que sur les preuves dont j’appuierai mon enseignement ; et c’était, je présume, pour les stimuler par l’importance du sujet, que tu as parlé de la sorte. Ces règles ne sont point difficiles à suivre pour toi ; telle est ton avidité à les saisir, et l’élan de ton admirable nature à les pratiquer, que si je suis ton maître en paroles, tu es le mien en actions. Je n’ai aucun motif ni même aucun prétexte de mentir. Un éloge immérité ne stimulerait point, je crois, ton ardeur ; ceux qui sont ici nous connaissent tous deux, et ni l’un ni l’autre n’est inconnu à celui qui recevra cet écrit.

29. Quant aux hommes qui s’adonnent à la pratique du bien et des bonnes mœurs, si tes paroles sont d’accord avec ta pensée, tu en crois le nombre plus restreint que cela ne me paraît probable : beaucoup te sont entièrement inconnus ; et chez ceux que tu connais, ce qui