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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/277

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n’importe qui, pourra produire de subtils et probables arguments contre ce dernier principe lui-même. Aussi peut-on retrouver, comme en un miroir, leur propre image dans ce qu’on dit de Protée, qu’on ne pouvait espérer de le saisir que quand il se dérobait, et que ceux qui le cherchaient n’auraient jamais pu le connaître, si quelqu’autre divinité ne le leur avait montré[1]. Si donc quelque divinité nous vient en aide et daigne nous montrer cette vérité, objet de leurs soigneuses recherches, je déclarerai les académiciens vaincus, même malgré eux, ce que je ne crois pas.

12. C’est bien, dis-je, je n’ai jamais demandé plus. Car, voyez, je vous prie, quels nombreux et importants avantages pour moi ! D’abord les académiciens sont tellement accablés, qu’ils ne sauraient plus se défendre que par l’impossibilité. En effet, qui pourra jamais comprendre ou s’imaginer que le vaincu trouve dans sa défaite même de quoi se glorifier d’être vainqueur ? De plus ; s’il reste encore un point à discuter avec eux, ce n’est pas si l’un ne peut rien connaître, mais si on ne doit donner créance à rien. Nous sommes donc maintenant d’accord : car il leur semble, comme à moi, que le sage connaît la sagesse. Ils l’avertissent cependant de ne donner pas son assentiment car d’après ce qu’ils disent, il lui semble seulement connaître, mais, en fait, il ne connaît rien : comme si moi-même je faisais profession de savoir. Je dis aussi comme eux que cela me semble ainsi ; car, je suis un insensé, et ils le sont autant que moi s’ils ne connaissent pas la sagesse. Or, je crois que nous devons au moins croire quelque chose : la vérité. Je leur demande donc s’ils n’en conviennent pas, c’est-à-dire, s’ils doutent qu’on doit donner créance à la vérité. Ils ne le diront jamais : ils soutiendront seulement qu’on ne peut la trouver. Ainsi, à ce point de vue, je suis avec eux, puisque les uns et les autres nous ne contestons pas, et par conséquent, nous croyons qu’il faut donner créance à la vérité. — Mais qui la montrera, disent-ils ? Sur ce point, je ne me mets pas en peine de discuter avec eux ; il me suffit qu’il ne soit pas probable que le sage ne connaisse rien : car autrement ils seraient contraints de dire cette grande absurdité, ou que la sagesse n’est rien ou que le sage ne la connaît pas.

CHAPITRE VI.

LA VÉRITÉ NE PEUT-ÊTRE CONNUE QUE PAR LE SECOURS DIVIN.

13. Tu nous as dit, Alype, quel est Celui qui peut nous montrer la vérité. Je dois beaucoup travailler à ne pas m’écarter de ce sentiment. Car tu nous as dit avec autant de brièveté que de piété, qu’une divinité peut seule nous montrer la vérité. C’est, de tout notre entretien, ce que j’ai entendu de plus agréable, de plus important, de plus favorable, même de plus vrai ; si cette divinité, comme j’en ai la confiance, veut bien nous secourir. Car avec quelle grandeur d’esprit et quel dessein de soutenir la vraie philosophie tu nous as fait souvenir de Protée ! Ne vous imaginez pas, jeunes gens, que les philosophes doivent mépriser les poètes, et sachez que ce Protée est l’image de la vérité. Oui, dans ces vers, Protée représente et joue le personnage de la vérité, que nul ne peut obtenir, si, trompé par de fausses images, on vient à relâcher ou à rompre les liens de l’intelligence. Lorsque nous tenons la vérité et qu’elle est pour ainsi dire dans nos mains, ce sont ces images qui, dans nos relations accoutumées avec les choses corporelles, s’efforcent de nous tromper et de se jouer de nous au moyen des sens dont nous nous servons pour les besoins de cette vie. Voici donc un troisième avantage que j’ai acquis et dont je ne puis assez estimer le prix. Mon très-intime ami est d’accord avec moi, non-seulement sur ce qui est probable dans la vie humaine, mais sur la religion elle-même, ce qui est la plus évidente preuve de la vérité de l’amitié. Car l’amitié a été justement et saintement définie : un accord bienveillant et charitable sur les choses humaines et divines.

CHAPITRE VII.

AUGUSTIN, SUR LA DEMANDE D’ALYPE, PARLE CONTRE LES ACADÉMICIENS : PLAISANTE CITATION DE CICÉRON.

14. Cependant, afin que les raisonnements des académiciens ne paraissent pas répandre certains nuages, et qu’il ne puisse pas sembler à quelques hommes que nous résistons fièrement à l’autorité des plus savants personnages

  1. Voyez liv. II de l’Ordre, chap. IV, n. 45.