Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/373

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du tout. — A. Mais s’il connaît quelle volonté tu auras demain, s’il connaît aussi les volontés futures de tous les hommes présents ou à venir, il sait bien mieux encore ce qu’il fera des justes et des impies,— E. Très-certainement, si Dieu connaît mes œuvres d’avance, j’admets avec bien plus de confiance encore qu’il sait d’avance ses propres œuvres et qu’il prévoit avec une complète certitude, ce qu’il fera lui-même. — A. Ne crains-tu pas alors de t’entendre adresser l’objection suivante : Si tout ce que Dieu sait d’avance s’accomplit nécessairement et non pas volontairement, il s’en suit que.lui-même doit tout faire par nécessité et non avec t liberté ? — E. En disant que tout ce que Dieu connaît d’avance s’accomplit nécessairement, je n’avais en vue que ce qui se fait dans ses créatures et non ce qui se fait en lui ; car rien ne se fait en lui, tout y est éternel. — A. Dieu ne fait donc rien dans ses créatures ? — E. Il a établi i une fois pour toutes quelle doit être la marche régulière de l’univers formé par lui ; car il ne conduit rien en vertu de dessein nouveau. — A. Ne rend-il personne heureux ? — E. C’est lui au contraire qui rend heureux. — A. Donc en rendant un homme heureux il fait quelque chose.— E. Oui.— A. Si par conséquent tu dois être heureux dans un an, Dieu dans un an te rendra heureux ? — E. Oui. — A. Et il sait aujourd’hui ce qu’il fera dans un an ? — E. Toujours il l’a su, et si cela doit arriver j’accorde qu’il le sait aujourd’hui aussi. 7. A. Dis-moi, je te prie : n’es-tu pas sa créature, et ton bonheur ne se fera-t-il pas en toi ? — E. Oui, je suis sa créature et mon bonheur se fera en moi. — A. Ainsi, puisque Dieu fera en toi ce bonheur, ce bonheur ne sera point pour toi volontaire, mais nécessaire ? — E. Sa volonté est pour moi une nécessité. — A. Alors tu seras heureux malgré toi ? — E. Si j’avais le pouvoir d’être heureux, déjà sûrement je le serais. Je voudrais l’être dès aujourd’hui et je ne le suis pas, parce que ce bonheur ne dépend pas de moi, mais de lui. A. Voilà bien le cri de la vérité. Rien sans doute n’est en notre pouvoir que ce que nous faisons quand nous le voulons ; et conséquemment rien ne dépend de nous comme la volonté même, car elle est à nos ordres aussitôt que nous voulons (1). Si donc nous pouvons dire : ce n’est pas volontairement, c’est nécessairement que nous vieillissons ; ce n’est pas

1. Rét. liv. I, ch. IX, n. 3.

volontairement, c’est nécessairement que nous mourons et qu’il nous arrive d’autres choses : quel homme, fût-il en délire, oserait avancer que ce n’est pas volontairement que nous voulons ? Aussi, quoique Dieu sache d’avance quelles seront nos volontés, il n’en résulte pas que nous voulions involontairement. Tu as dit de ton bonheur, comme si je l’avais nié, qu’il ne dépend pas de toi ; mais ce que j’affirme, c’est que, si tu deviens heureux, ce ne sera pas malgré toi, ce sera de ton plein gré ; et quoique Dieu connaisse quel sera pour toi ce bonheur, quoique rien ne puisse arriver en dehors de ses prévisions, autrement il ne faudrait plus parler de prescience, nous ne sommes pas contraints d’admettre, pour ce motif, que tu seras heureux involontairement : car y aurait-il rien de plus absurde, de plus étranger à la vérité ? Or, de même que la prescience divine qui sait avec certitude, et aujourd’hui comme toujours, quel sera ton bonheur, ne t’empêchera pas de le vouloir lorsqu’il commencera à se réaliser ; de même, si tu dois avoir une volonté coupable, cette volonté ne cessera point d’être volonté, parce que Dieu l’a prévue. 8. Considère en effet, je te prie, quel aveuglement porte à dire : si Dieu a prévu que j’aurais cette volonté, comme rien ne peut arriver autrement qu’il l’a prévu, il est nécessaire que je veuille ce qu’il sait d’avance : or si cela est nécessaire, ce n’est plus la volonté, il faut le reconnaître, c’est la nécessité qui me fait vouloir. O incomparable folie ! Comment rien ne peut-il arriver autrement que Dieu l’a prévu, si l’on ne doit pas avoir la volonté qu’il a prévue ? Je ne parle pas de cette autre affirmation également monstrueuse que je viens de rapporter, quand j’ai rappelé ce que dit ce même homme qui suppose l’empire de la nécessité pour essayer de supprimer la volonté. Il est nécessaire que je veuille cela, dit-il. S’il est nécessaire qu’il veuille, comment voudra-t-il puisqu’alors il n’y aura pas de volonté ? Mais ce n’était peut-être pas là son idée et en disant qu’il est nécessité à vouloir, il veut faire entendre que sa volonté ne dépend pas de lui. On peut le réfuter par ce que tu as dit toi-même. Je te demandais si tu seras heureux malgré toi ; tu as répondu que dès maintenant tu serais heureux si le bonheur dépendait de toi ; tu as dit que tu voudrais l’être, mais que