Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/399

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en triomphent pour s’élever aux régions de la sagesse, malgré la peine de renoncer aux douceurs empoisonnées de leurs pernicieuses habitudes. 75. Si l’homme fut alors en présence de deux idées, du commandement de Dieu et de la tentation du serpent, on peut ici se demander d’où vint au démon lui-même le conseil impie qui le fit tomber de si haut ; attendu que s’il n’en avait eu l’idée, il n’aurait pas fait le choix qu’il a fait ; si rien ne s’était présenté à son esprit, il n’aurait point porté sa volonté au mal. D’où lui vint donc l’idée, quelle qu’elle fut, d’entreprendre ce qui devait faire de lui un diable, de bon ange qu’il était ? On ne peut vouloir sans vouloir quelque chose, et la volonté ne salirait se porter vers aucun objet, à moins que l’idée ne lui en vienne soit de l’extérieur par les sens corporels, soit intérieurement par des ressorts secrets. Il y a donc plusieurs sortes d’idées : les unes sont inspirées par le conseil d’autrui, comme cette tentation du diable à laquelle Adam donna un consentement coupable ; les autres viennent des objets soumis à l’application de notre esprit ou à la perception de nos sens. L’immuable Trinité n’est pas du domaine de notre esprit, elle le domine plutôt. Mais à l’application de l’esprit est soumis d’abord l’esprit lui-même aussi sentons-nous que nous vivons ; ensuite le corps gouverné par l’esprit ; c’est pourquoi lorsqu’il faut agir l’esprit met en mouvement le membre nécessaire. Quant aux sens, tout ce qui est corporel est de leur domaine. 76. L’âme n’est point la sagesse souveraine, puisque cette sagesse est immuable, tandis que l’âme est muable. Comment donc se fait-il que en contemplant la sagesse elle se regarde elle-même et pense à soi ? C’est uniquement parce que n’étant point égale à Dieu elle a néanmoins des beautés qui, après Dieu, peuvent la charmer. Elle est plus parfaite lorsqu’elle s’oublie dans l’amour du Dieu immuable, lorsqu’elle se méprise entièrement en sa présence. Mais si étant en quelque sorte plus à sa portée elle vient à se complaire en soi ; si elle cherche à imiter Dieu désordonnément et à vivre indépendante, elle s’abaisse d’autant plus qu’elle veut s’élever davantage. De là ces paroles : « L’orgueil est le commencement de tout péché ; » et ces autres : « Le commencement de l’orgueil bu« main c’est de se séparer de Dieu (1). » Outre cet orgueil, le diable eut la noire envie d’inspirer à l’homme l’orgueil pour lequel il se sentait réprouvé. De là vint le châtiment qui devait corriger l’homme plutôt que lui donner la mort : le démon avait posé devant lui comme un modèle d’orgueil ; le Seigneur se donna à lui comme un modèle d’humilité. C’est lui qui nous promet l’éternelle vie, il veut que rachetés par le sang qu’il a versé à la suite de travaux et de douleurs inexprimables, nous nous attachions à notre Libérateur avec une charité si ardente, nous soyons attirés vers lui par des lumières si vives, qu’aucune idée d’en-bas ne nous détourne de cette contemplation sublime. Il veut encore que si jamais des idées de convoitise se glissaient en nous, nous fussions rappelés au devoir par la réprobation et les supplices du diable. 77. Mais quelle n’est point la beauté de la justice, quelle n’est point le charme de l’éternelle lumière, c’est-à-dire de la vérité et de la sagesse immuable ? Quand même on n’en pourrait jouir que l’espace d’un seul jour, on aurait raison, pour y parvenir, de mépriser d’innombrables années de vie avec toutes les délices et tous les biens temporels. Ah ! il n’y avait ni erreur ni insensibilité dans le cœur qui s’écriait : « Un jour passé dans votre sanctuaire vaut mieux que des milliers de jours (2). » Peut-être cependant pourrait-on prendre ces paroles dans un autre sens, entendre par les milliers de jours les temps muables et par le jour unique l’immuable éternité. Je ne sais si dans cette réponse, que j’ai faite selon la mesure de la grâce qu’il a plu à Dieu de me donner, j’ai omis de résoudre quelques unes de tes questions. Mais s’il te revient quelque chose, ce livre est assez étendu, il faut nous reposer un peu. 1. Eccli. X, 16, 14. 2. Ps. LXXXIII, 2.

Ce troisième livre est traduit par M. l’abbé RAULX.