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AVERTISSEMENT.


fondamentale. Adopte-t-on le diiambe (u—u—) ? On trouve segetes. Mais le diiambe ayant 6 temps et segetes étant un anapeste ou pied de 4 temps, il faut remplir les deux temps vides par un silence d'égale durée. La mesure est alors de 6 temps pour chaque pied.

Veut-on, au contraire, prendre pour point de départ le ditracliée (-u-u) on aura : Sege tes meus la | bor : en revenant de la fin du mètre, c'est-à-dire, la syllabe bor, au commencement, Sege, on ne trouve que 4 temps; il faut donc un silence de 2 temps. Marquons, si ou nous le permet, les silences, par des soupirs 7. signe qui, dans la Musique moderne, équivaut à une brève ou à un temps, nous verrons de nos propres yeux l'égalité de ces deux mesures :

Segetes meus labor 7 7

Malgré la routine, l'auteur mesure l'hexamètre par anapestes, ce qui met les accents en relief, chose si importante dans le vers, qu'il soit français, grec ou latin :

Arma virumque cano Trojœ qui primus ah mis.

La fin rapprochée du commencement formant 4 temps et la mesure fondamentale étant l'anapeste ou 4 temps, il n'y aura pas de silence complémentaire.

On remarquera que l'hémistiche est le trait distinctif du vers ancien. Le vers n'est vers que parce qu'il admet une coupure qui le partage en deux membres, liés entre eux par le rapport d'égalité le plus étroit. Augustin trouve un rapport d'égalité merveilleux dans les deux membres du vers Hexamètre qui ont un nombre de demi-pieds tel que si on les élève au carré, on obtient le nombre identique de 23. Les anciens étaient bien plus que nous, sensibles à ces propriétés des nombres qui peuvent devenir, en musique, une jouissance pour l'esprit et doubler ainsi le plaisir de l'oreille. On ne voit pas sans surprise que les critiques si nombreuses et si mal fondées qu'on a faites de notre Alexandrin, s'appliquent en grande partie à l'Hexamètre Latin : lui aussi est partagé en deux liénustiches et cela, dit notre auteur, d'un bout à l'autre de l'iinéide. Si saint Augustin s'est brouillé il y a tant de siècles avec les Uomantiques, j'ai bien peur que leur système, qui consiste à mettre l'Alexandrin en pièces sous prétexte d'en rompre la monotonie, ne réponde ni aux besoins de l'oreille, ni « aux propriétés essentielles des nombres» et de riiarmoniu. C'est ainsi que l'on retrouve les lois de l'esprit humain sous les formules du philosophe : son ouvrage n'a pas vieilli, parce que la raison et les principes de l'art ne vieillissent jamais. Nous arrivons au VI" livre : cl nous nous empressons d'offrir au lecteur « une planche sur cette mer immense, n une analyse lidèle et enthousiaste de M. Villemain[1]. La partie esthétique de ce beau livre y est saisie dans toute son élévation. Le lecteur nous permettra donc d'insister sur la partie philosophique et d'y appeler son attention.

Devancier de Descartes et de Malebranche qui ont creusé un abîme entre le corps et l'âme, Augustin, guidé par le sens chrétien, refuse au corps le pouvoir de modifier l'âme. Le corps ne produit pas dans l'àme une impression, une peine, un plaisir, non ; à propos des impressions que le corps reçoit du dehors ou des modifications qu'il éprouve dans ses organes, l'àme devient attentive, prend conscience des mouvements corporels, et, selon qu'elle s'y associe ou qu'elle s'y oppose, qu'elle s'y conforme ou qu'elle y résiste, elle ressent de la peine ou du plaisir. La peine est une fonction pénible des organes remarquée par l'àme, le plaisir, une opération facile dont elle a conscience. Cette théorie est d'autant plus originale que d'ordinaire, on regarde l'àme comme purement passive dans le phénomène de la sensation : Augustin n'y voit qu'un mode de l'activité de l'âme, une réaction contre les impulsions venues du dehors et auxquelles l'àme reste libre de s'associer. Il rattache sa théorie au dogme chrétien du péché originel. Dans l'état de grâce et de félicité, le corps était en parfaite union avec l'àme : l'àme ne prêtait aucune attention à ses mouvements et était tout entière tournée vers Dieu, son Seigneur, elle était insensible au même titre que nous le sommes encore, quoique d'une manière infiniment moins parfaite, dans la santé. Car, dans la santé, le jeu des organes est si régulier, si facile, que l'âme ne s'en occupe pas et peut se livrer sans distraction comme sans peine, à la contemplation de la vérité. Mais, par une conséquence du péché, la chair n'obéit plus qu'à l'aiguilloh du plaisir: l'àme, contrainte de fixer son attention sur ces mouvements de concupiscence, ou lutte péniblement pour y résister, ou se laisse entraîner et prélère à l'insensibilité ou apathie, qui est la suite de la santé, le désordre des voluptés.

Cette théorie d'un spiritualisme si élevé est exposée avec éclat dans le chapitre Ve et domine le livre entier. Aidée de la grâce, l'âme renonce peu à peu à la chair : elle subordonne, par une hiérarchie toute divine, les mouvements que le corps la contraignait à produire, soit pour aller au-devant de ses besoins, soit pour lutter contre ses tendances grossières, à ces mouvements que règle le jugement, qu'inspire la raison; elle s'épure, elle se tourne tout entière vers les choses du ciel. Ainsi les harmonies d'ici bas de plus en plus hautes selon qu'elles ont pour principe, les sens, le jugement, la raison, l'aclieniincnt peu à peu et comme par degrés à l'harmonie tout intellectuelle de la vérité. Elle reprend sa dignilé, en reprenant son existence preiuière, la contemplation de Dieu. Si au contraire elle se renferme dans l'Iiarmouie des sens, dans la beauté des objets matériels, elle se lie à. une harmonie, celle du péché; car le mal

  1. Tableau de l’éloquence chrétienne au IVe siècle, p. 421-428.