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DE LA MUSIQUE


CHAPITRE II.
Le grammairien juge d'un vers d'après l'autorité, le musicien, d'après la raison et l'oreille.

2. Ainsi donc, puisque notre but est d'analyser les lois de la musique, malgré ton ignorance de la quantité des syllabes , nous pouvons ne pas nous laisser arrêter par cette ignorance, et partir de l'observation que tu as faite, dis-tu, de la durée plus ou moins longue des syllabes. Je le demande donc si p.ir fois la -îadence dis vers n'a pas failsurtes oreilles une impression agréable. — LE. Très-souvent, au contraire, et ce n'est jamais sans plaisir que j'entends un vers — Le M. Si dans un vers tpii t'a charmé, on allonge ou on abrège une syl- labe, à un endroit où le rhythme de ce vers ne l'exige- pas, ton oreille est-elle également flat- tée? — UE. Loin de là, je ne saurais m'em- pècher d'en élre choqué. — Le M. Ainsi, nul doute; dans le son qui te charme, ton plaisir vient d'une certaine mesure dans les nombres, et, cette inesiire une fois rompue, ton oreille n'est plus flattée. — LE. C'est incontestable. — Le M. Continuons d'examiner le son du vers et dis-moi quelle différence tu trouves quand je prononce :

Arma virumque caoo qui Trojs primus ab oris,

ou :

Qui primus ab oris.

L’É. Relativement à la mesure, je trouve le même son. — Le M. Cela tient à la manière dont j'ai prononcé ; j'ai fait ce que les gram- mairiens appellent un barbarisme : Dans pri- mus la j>remièie syllabe est longue, la seconde brève : dans primis, les deux syllabes sont longues ; or j'ai abrégé la dernière , et ton oreille n'a pas été choquée. Renouvelons donc cet essai pour voir si tu reconnaîtras, à ma prononciation, la quantité longue ou brève des syllabes : notre discussion pourra alors mar- cher selon notre but, par demandes et par ré- ponses. Je vais répéter le vers où j'ai fait un barbarisme et, selon les règles des grammai- riens, je rendrai longue la syllabe que j'avais faite brève, pour ne pas offenser ton oreille. Dis-moi doue si cct'e manière de mesurer les vers, te cause le même plaisir quand tu m'en- tends prononcer : Arma virumque cano Trojv qui primis ab oris. LE. Je ne saïuais le nier : il y a dans ce son je ne sais quel défaut qui me choque. — Le .1/. Ce n'est pas sans raison : bien qu'il n'y ait plus de barbarisme, il y a un défaut que la gram- maire et la luusique peuvent également criti- quer; la grammaire, parce que ce mot, dont la dernière syllabe est longue, se trouve placé où il faut une brève; la musique, parce que la prononciation est longue où elle doit être brève, et qu'ainsi levers n'a pas duré le temps exigé i)ar le rhyihme. Si maintenant lu com- prends les exigences ditTcrentes de l'oreille et de l'autorité, il nous reste à voir par (|uel mystère l'oreille est tantôt flattée, tantôt bles- sée par les sons longs ou brefs. Voilà, en effet, ce qui a rapport à la durée plus ou moins longue dont nous avons entrepris l'i xplication, si tu t'en souviens. — LE. Je comprends la distinction, de plus j'ai bonne mémoire, et j'attends avec la plus vive curiosité ce qui va suivre.


CHAPITRE III.
durées des syllabes.

3. Le M. Ce qui va suivre ? Ne devons-nous pas, dis-moi, commencer par comparer les syllabes entre elles, et voir quels en sont les rapports numériques, comme nous l’avons déjà fait à propos des mouvements ? Or, tout ce qui sonne est en mouvement et les syllabes sont sonores. Peux-tu rien contester ? — L’É. Non. — Le M. Donc comparer des syllabes, c’est comparer des mouvements où les rapports numériques de temps peuvent se convertir en mesures de la durée. — L’É. C’est cela. — Le M. Une seule syllabe peut-elle se comparer à elle-même ? Sauf contradiction de ta part, l’unité n’exclut-elle pas toute comparaison ? — L’É. Je ne contredis pas. — Le M. Nieras-tu que l’on puisse comparer une syllabe à une autre, une ou deux syllabes à deux, à trois ou à un plus grand nombre ? — L’É. Comment le nier ? — Le M. Remarque encore que toute syllabe brève, qui ne demande qu’une seconde pour être prononcée, et dont le son se perd immédiatement, dure néanmoins quelque temps