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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome III.djvu/516

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s’insurger contre eux, c’est prouver qu’on ne les comprend pas, puisque ceux-là seuls les incriminent qui ne les comprennent pas, et ceux-là seuls ne les comprennent pas qui les incriminent. En effet, s’en faire l’ennemi, c’est se mettre dans l’impossibilité de les connaître, car en les connaissant on ne peut que les aimer.

47. Aimons donc Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit, nous tous qui aspirons à la vie éternelle. La vie éternelle, telle est en effet la récompense dont la promesse nous comble de joie ; mais une récompense ne saurait précéder les mérites, pour l’obtenir il faut l’avoir gagnée. Qu’y aurait-il de plus injuste, et Dieu n’est-il pas la justice souveraine ? Dès lors ne demandons pas la récompense avant d’avoir mérité de la recevoir. Ce serait peut-être ici le lieu de se demander ce qu’est la vie éternelle. Mais qu’il nous suffise d’entendre Celui qui nous l’accorde : « La « vie éternelle, dit-il, consiste à vous connaître, vous le vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé[1]. » La vie éternelle, c’est donc la connaissance même de la vérité. Jugez dès lors de l’erreur et du sens renversé de ceux qui se flattent d’enseigner la connaissance de Dieu, comme moyen, pour nous, d’arriver à la perfection, quand, au contraire, c’est cette même connaissance qui est la récompense de la perfection. Que devons-nous donc faire, je le demande, si ce n’est tout d’abord d’aimer d’une charité entière Celui que nous désirons connaître ? De là ce principe que nous avons posé dès le début et qui est celui de l’Église catholique : rien n’est plus salutaire que de faire précéder la raison par l’autorité.


CHAPITRE XXVI.

AMOUR DE SOI-MÊME ET DU PROCHAIN.

48. Allons plus loin — il semble que nous n’avons rien dit du sujet de la charité, de l’homme lui-même. Mais celui qui serait de cet avis prouverait qu’il a bien peu compris ce que nous avons dit. En effet, il est impossible que celui qui aime Dieu ne s’aime pas lui-même. Je vais plus loin et je dis que celui-là seul qui aime Dieu sait s’aimer lui-même. N’est-ce pas s’aimer suffisamment soi-même que d’employer tous ses soins à parvenir à la jouissance du vrai et souverain bien ? Et si ce souverain bien, comme nous l’avons prouvé, c’est Dieu lui-même, peut-on douter qu’aimer Dieu et s’aimer soi-même ne soit une seule et même chose ? Mais quoi ! est-ce qu’entre les hommes, il ne doit y avoir aucun lien d’amour ? Il doit tellement y en avoir, que le degré le plus sûr, pour parvenir à l’amour de Dieu, c’est l’amour de l’homme pour ses semblables.

49. Interrogé sur les préceptes qui conduisent à la vie éternelle, que le Seigneur nous formule lui-même le second commandement l Car il ne s’est pas contenté d’un seul, lui qui savait qu’entre Dieu et l’homme il y a une distance infinie, la distance qui sépare le Créateur de la créature faite à son image. Comment s’exprime-t-il ? « Tu aimeras ton prochain comme toi-même[2]. » Tu t’aimeras suffisamment toi-même, si tu aimes Dieu plus que toi-même. Dès lors ce que tu fais pour toi, fais-le aussi pour ton prochain, et cela afin qu’il aime Dieu d’un amour parfait. En effet, tu ne l’aimes pas comme toi-même, si tu ne travailles à lui faire acquérir ce même bien auquel tu aspires. Car ce bien unique est de telle nature, qu’il ne perd rien de son immensité, lors même que tous y tendent avec toi. De ce précepte donc découlent les devoirs de la société humaine, sur lesquels il est difficile de ne pas s’illusionner. Avant tout pratiquons la bienveillance, c’est-à-dire n’usons contre personne, ni de méchanceté, ni de ruse, et souvenons-nous que nous n’avons rien de plus proche que l’homme lui-même.

50. Recueille donc cette parole de saint Paul : « L’amour du prochain ne fait pas le mal[3]. » Les témoignages que j’invoque sont très-courts, mais, si je ne me trompe, ils sont très-bien choisis et d’un parfait à-propos. Personne n’ignore, sans doute, qu’au sujet de l’amour du prochain, les Livres saints renferment, à toutes les pages, des paroles aussi nombreuses qu’importantes. Or, on peut commettre deux sortes d’offenses contre le prochain, soit en le lésant, soit en ne lui aidant pas quand on le peut. S’en rendre coupable, c’est ce qu’on appelle parmi les hommes être méchant, et celui qui aime les évite avec soin, D’où je conclus que notre proposition est suffisamment démontrée par cette parole : « la charité pour le prochain évite de faire le mal. »

  1. Jn. 17, 3.
  2. Mat. 22, 39.
  3. Rom. 13,10