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s’attache même aux bonnes pour les faire périr ; et qu’importe de distribuer ses biens aux pauvres et de se faire pauvre soi-même, quand l’âme est assez misérable pour devenir plus orgueilleuse en les méprisant, qu’elle ne l’était en les possédant ? Vivez donc tous dans l’union et la concorde, et honorez mutuellement en vous le Dieu qui vous a faits ses temples.


DE LA PRIÈRE ET DE L’OFFICE DIVIN.

3. Soyez assidus à la prière, aux heures et aux moments prescrits. Que personne ne fasse dans l’oratoire que ce pourquoi il a été construit et d’où il tire son nom ; afin que si d’autres avaient le temps et la volonté d’y prier, même en dehors des heures ordinaires, ils n’en soient pas empêchés par ceux qui voudraient y faire quelque autre chose. Pendant les psaumes et les hymnes, lorsque vous priez Dieu, que votre cœur s’occupe de ce que profère votre bouche : ne chantez que ce que vous lisez devoir être chanté ; ce qui n’est point marqué pour l’être, ne le chantez pas.


DU JEUNE ET DU REPAS.

4. Domptez votre chair par les jeûnes et l’abstinence du boire et du manger, autant que votre santé le permet. Si quelqu’un ne peut jeûner, il ne doit rien prendre, cependant, entre l’heure de repas, à moins qu’il ne soit malade. Depuis le moment où vous vous mettez à table jusqu’à ce que vous en sortiez, écoutez sans bruit et sans dispute ce qu’on vous lit selon la coutume ; votre corps ne doit pas seul prendre sa nourriture, votre esprit doit aussi avoir faim de la parole de Dieu.


DE L’INDULGENCE ENVERS LES INFIRMES.

5. Si à table, on traite différemment ceux qui sont infirmes par suite d’anciennes habitudes, que cette indulgence ne paraisse ni odieuse ni injuste à ceux qu’une autre manière de vivre a rendus plus robustes. Qu’ils ne les estiment pas plus heureux s’ils prennent ce qu’eux-mêmes ne prennent pas ; qu’ils se félicitent plutôt de pouvoir ce que leurs frères ne peuvent. Et si l’on accorde à ceux qui ont vécu plus délicatement avant d’entrer au monastère, en fait d’aliments, de vêtements et de couvertures, ce qui n’est point accordé aux autres qui sont plus forts et par conséquent plus heureux, ceux-ci doivent penser combien les premiers ont quitté de la vie qu’ils menaient dans le monde, quoiqu’ils ne soient point encore parvenus à l’austérité des autres qui sont d’une santé plus forte ; et tous ne doivent pas réclamer ce qu’on accorde à quelques-uns pour les soutenir et non pour les distinguer ; de peur que, par un renversement détestable, les pauvres ne s’habituent à la délicatesse, dans un monastère où, selon leurs forces, les riches s’accoutument au travail. De même que les malades doivent prendre moins pour n’être pas accablés, les convalescents doivent être traités de manière à être au plus tôt rétablis, fussent-ils sortis de la dernière indigence : comme si la maladie venait de leur causer la faiblesse laissée aux riches par leurs habitudes premières. Mais après avoir réparé leurs forces, qu’ils reviennent à leur ancien genre de vie, plus heureux et d’autant plus convenable aux serviteurs de Dieu, qu’ils y éprouvent moins de besoins ; que la sensualité ne les retienne pas, après leur rétablissement, à ce qu’avait exigé d’eux la faiblesse. Qu’on regarde comme plus riches ceux qui sont plus capables de soutenir une vie austère ; mieux vaut avoir moins de besoins que de posséder davantage.


DE L’EXTÉRIEUR.

6. Que votre extérieur n’ait rien de singulier ; ne cherchez point à plaire par vos vêtements, mais par vos vertus. Quand vous sortez, marchez ensemble ; quand vous êtes arrivés, demeurez ensemble. Que dans votre démarche, votre contenance, votre air et tous vos gestes il n’y ait rien qui blesse la vue de personne, mais que tout convienne à la sainteté de votre état. Si vos yeux se jettent sur quelque femme, qu’ils ne se fixent sur aucune ; il ne vous est pas défendu, quand vous sortez, d’apercevoir des femmes, mais il est mal de les rechercher ou de vouloir en être recherchés. Par les regards aussi bien que par l’attachement et l’affection secrètes, l’amour impur provoque comme il est provoqué. Ne dites pas que vos âmes sont chastes lorsque vos regards ne le sont pas : un œil sans pudeur annonce un cœur souillé. Quand des cœurs passionnés se parlent non-seulement de la langue, mais du seul regard ; quand ils se plaisent dans une ardeur reciproque et charnelle, le corps peut demeu-