Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/163

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l’apparition des astres, on peut sans invraisemblance y voir la fin d’une œuvre accomplie le matin est le signal d’une Œuvre nouvelle.

CHAPITRE XVIII. DE L’ACTIVITÉ DIVINE.



36. Quoi qu’il en soit, n’oublions pas le principe établi précédemment : ce n’est point par des opérations successives de son intelligence ou par des mouvements physiques que Dieu agit, comme ferait un ange ou un homme ; son activité s’exerce selon les idées éternelles, immuables, constantes, de son Verbe coéternel, et par la fécondité, si j’ose ainsi dire, du Saint-Esprit, qui lui est également coéternel. Il est dit, dans les traductions grecque et latine que « l’Esprit a de Dieu était porté sur les eaux » mais d’après le syriaque, langue de la même famille que l’hébreu, on doit plutôt entendre qu’il les échauffait, ##Rem fovebat : c’est l’interprétation d’un savant chrétien de la Syrie. Ce mot ne rappelle pas les fomentations à l’eau froide où chaude qu’on emploie pour guérir les fluxions ou les plaies [1] : il exprime une sorte d’incubation, qu’on pourrait comparer à celle des oiseaux fécondant leurs œufs, quand la mère, obéissant à l’instinct de la tendresse, communique sa chaleur à ses petits pour les faire éclore. N’allons donc pas nous imaginer, par un grossier matérialisme, que Dieu ait prononcé des paroles humaines à chaque création des six jours. Ce n’est point dans ce huit que la Sagesse même de Dieu a revêtu nos faiblesses ; si elle est venue rassembler les fils de Jérusalem, comme la poule réunit sa couvée sous les ailes[2], ce n’est pas pour nous laisser dans une éternelle enfance, mais pour empêcher d’être enfants par la malice et jeunes de discernement[3].
37. Si l’Écriture nous offre des vérités obscures, hors de notre portée, et qui, sans ébranler la fermeté de notre foi, prêtent à plusieurs interprétations, gardons-nous d’adopter une opinion et de nous y engager assez aveuglément pour succomber, quand un examen approfondi nous en démontre la fausseté ; loin de soutenir la pensée de l’Écriture, nous ne ferions plus que soutenir une opinion personnelle, donnant notre sens particulier pour celui de l’Écriture, tandis que la pensée de l’Écriture doit devenir la nôtre.

CHAPITRE XIX. IL FAUT S’INTERDIRE TOUTE ASSERTION HASARDÉE. DANS LES PASSAGES OBSCURS DES SAINTS LIVRES.



38. Admettons effectivement qu’à propos de ce passage, : « Dieu dit : que la lumière soit » les uns voient dans la lumière une clarté intellectuelle, les autres, un phénomène physique. Qu’il y ait une lumière intellectuelle qui illumine les esprits, c’est un point admis dans notre foi ; quant à l’hypothèse d’une lumière matérielle créée dans le ciel, ou au-dessus du ciel, ou même avant le ciel, et susceptible de faire place à la nuit, elle n’est point contraire à la foi, aussi longtemps qu’elle n’est pas renversée par une vérité incontestable. Est-elle reconnue fausse ? L’Écriture ne la contenait pas ; ce n’était que le fruit de l’ignorance humaine. Est-elle au contraire démontrée par une preuve infaillible ? Même dans ce cas, on pourra se demander si l’Écrivain sacré a voulu dans ce passage révéler cette vérité ou exprimer une autre idée non moins certaine. Quand même on verrait par l’ensemble de ses paroles, qu’il n’a pas songé à cette idée, loin de conclure que tout autre idée qu’il a voulu exprimer soit fausse, il faudrait reconnaître qu’elle est vraie et plus avantageuse à connaître. Et quand l’ensemble n’empêcherait pas de croire qu’il ait eu cette intention, il resterait encore à examiner s’il n’a pu en avoir une autre. Cette possibilité reconnue, on ne pourrait décider quelle a été sa véritable pensée ; on serait même fondé à croire qu’il a voulu exprimer une double pensée, si l’ensemble prêtait à une double interprétation.
39. Qu’arrive-t-il encore ? Le ciel, la terre et les autres éléments, les révolutions, la grandeur et les distancés des astres, les éclipses du soleil et de la lune, le mouvement périodique de l’année et des saisons ; les propriétés des animaux, des plantes et des minéraux, sont l’objet de connaissances précises, qu’on peut acquérir, sans être chrétien, par le raisonnement ou l’expérience. Or, rien ne serait plus honteux, plus déplorable et plus dangereux que la situation d’un chrétien, qui traitant de ces matières, devant les infidèles, comme s’il leur exposait les

  1. Les topiques froids étaient d’un fréquent usage dans la médecine antique : Celse les décrit : Horace s’y condamna. Qu’on ne s’étonne pas voir saint Augustin en parler ici ; il aime à prévenir les interprétations que des esprits illettrés ou grossiers tels que les Manichéens pouvaient donner à sa pensée. Le métaphysicien qui s’adresse aux philosophes, est en même temps un évêque accoutumé à parler au peuple et à s’abaisser jusque dans son langage, pour s’élever à la grandeur des vérités chrétiennes : c’est un des traits de son génie
  2. Mt. 23, 37
  3. 1 Cor. 14, 20