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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/279

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ont été faits pécheurs, ainsi par l’obéissance d’un seul beaucoup deviendront justes[1]. » C’est sur ce passage de l’Apôtre que les partisans de l’hypothèse de la propagation des âmes cherchent à édifier leur système. S’il n’y que la chair, disent-ils, pour avoir péché et pour rendre pécheur, ces paroles n’entraînent pas rigoureusement pour conséquence que les âmes des parents produisent celles des enfants : mais si l’âme seule pèche, quelque amorce que lui jette la chair, comment admettre « que tous aient péché en Adam » sans reconnaître que leur âme, comme leur corps, soit issue d’Adam ? Comment seraient-ils devenus pécheurs par la désobéissance d’un seul, si leur âme comme leur corps n’avait point péché en lui ?
19. Prenons garde en effet de faire de Dieu l’auteur du péché, en supposant qu’il associe l’âme à un corps qui la condamne à pécher, ou bien d’admettre qu’indépendamment de Jésus-Christ, le seul qui n’ait point péché en Adam, d’autres âmes peuvent s’affranchir du péché originel sans le concours de la grâce, en reconnaissant que le péché originel est relatif au corps qu’on tient d’Adam, et non à l’âme. Cette dernière opinion est si opposée à la foi catholique, que les parents s’empressent de faire recevoir à leurs enfants nouveau-nés la grâce du saint Baptême. Or, si le baptême affranchit du péché originel en ce qui touche le corps, sans purifier l’âme, on pourrait se demander avec raison quel malheur il résulterait pour les âmes de sortir du corps, avant le baptême, dans un âge si tendre. La vertu de ce sacrement ne s’étend-elle qu’à la chair, sans produire aucun effet sur l’âme ? Il faudrait alors baptiser jusqu’aux morts. Mais, comme nous voyons par la pratique constante de l’Église, qu’on se précipite au secours de ceux qui vivent encore, dans la crainte de rencontrer un cadavre pour lequel il n’y aurait plus rien à faire, il faut bien en conclure, à mon sens, qu’il n’y a point de nouveau-né qui ne soit un Adam, en corps et en âme, et qui n’ait besoin de la grâce de Jésus-Christ. En effet, cet âge est incapable par lui-même de faire le bien et le mal, et l’âme serait en ce moment innocente et pure, si elle ne sortait d’une tige corrompue. Que les partisans de l’opinion contraire démontrent qu’une telle âme subit une juste condamnation, quand elle quitte le corps avant le baptême ; ils auront accompli un prodige de logique.

CHAPITRE XII. LA CONCUPISCENCE DE LA CHAIR TIENT A L’ÂME ET A LA CHAIR TOUT ENSEMBLE.


20. La Vérité même se fait entendre dans ces paroles : « La chair convoite contre l’esprit, et l’esprit contre la chair[2] » toutefois, s’il est un point incontestable pour le savant comme pour l’ignorant, c’est que la chair ne pourrait sans l’âme éprouver aucune convoitise-. Le principe de la concupiscence charnelle ne réside donc pas exclusivement dans l’âme, à plus forte raison dans la chair : il suppose l’âme et la chair ; l’âme, sans laquelle aucun plaisir ne serait perçu ; la chair, sans laquelle aucune volupté sensuelle n’existerait. Lors donc que l’Apôtre nous parle de la chair qui convoite contre l’esprit, il entend sans aucun doute les plaisirs que la chair provoque dans l’âme et lui fait goûter de concert avec elle, à l’encontre des plaisirs purement spirituels. Par exemple, l’esprit éprouve un désir sans aucun mélange de volupté ou de passions, sensuelles, « quand l’âme soupire ardemment et se sent défaillir après les parvis du Seigneur[3]. » C’est un, plaisir également spirituel qu’on propose à l’âme, en disant : « Tu as désiré la sagesse ; garde le commandement et le Seigneur te la donne[4]. » Quand l’esprit commande aux organes et les fait docilement concourir à un désir qui n’enflamme que lui, par exemple, quand on prend un livre, quand on s’occupe à lire, à écrire, à engager ou à suivre une discussion ; quand on donne un morceau de pain à un pauvre affamé, bref, quand on remplit les autres devoirs de miséricorde et de charité, la chair se montre obéissante sans irriter la concupiscence. Mais ces nobles plaisirs dont l’âme seule est capable outrent-ils en lutte avec les plaisirs que la chair fait sentir à l’âme ? Alors il est vrai de dire que la chair convoite, s’élève contre l’esprit et l’esprit contre la chair.
21. Le mot chair dans ce passage n’est que l’âme agissant conformément aux suggestions de la chair, d’après l’analogie qui fait dire que l’oreille entend ou que l’œil voit. Qui ne sait en effet que l’âme seule entend par l’organe de l’ouïe et voit par les yeux ? C’est la même figure de langage qui permet de dire une main bienfaisante, la main s’étendant en effet pour secourir

  1. [[Bible_Crampon_1923/Romains|Rom. 5, 12, 18-19
  2. Gal. 5,17
  3. Ps. 83, 9
  4. Sir. 1, 33