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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IV.djvu/501

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Mais alors on demande avec raison de quel droit Élie fit un sacrifice en dehors du temple de Dieu ; lorsqu’il fit descendre le feu du ciel et convainquit d’erreur les prophètes des démons[1]. Il me semble qu’il n’y a pas d’autre raison à faire valoir en sa faveur, que celle qu’on donne pour la justification d’Abraham, prêt à immoler son fils à Dieu, sur l’ordre qu’il en avait reçu[2]. Lorsque le législateur commande une chose qu’il a défendue dans la loi, son commandement tient lieu de la loi dont il est l’auteur. Dieu, sans doute, aurait pu employer d’autres moyens miraculeux que les sacrifices, pour l’emporter sur les prophètes des faux dieux, et les convaincre d’erreur ; mais l’Esprit de Dieu, qui animait Élie dans tout ce qu’il fit en cette circonstance, ne pouvait aller contre la loi, qu’il a lui-même donnée.
LVII. (Ib. 17, 10, etc.) Sur la vie du corps et de l’âme. – Quel est le sens de ces paroles de Dieu ; à propos de la défense de manger du sang « L’âme de toute chair, c’est son sang ? » Voici tout le développement de ce passage : « Si un, quel qu’il soit, des enfants d’Israël, ou des prosélytes qui se sont mêlés parmi vous, mange du sang, j’affermirai ma face contre l’âme qui mange du sang, et je la perdrai du milieu de son peuple. Car l’âme de toute chair, c’est son sang. Et je vous l’ai donné, afin qu’il prie pour vos âmes : car son sang priera pour l’âme. C’est pourquoi j’ai dit aux enfants d’Israël : Nulle âme d’entre vous ne mangera non plus de sang[3]. » Si nous disons du sang de la bête que c’est son âme, faut-il en conclure que le sang est aussi l’âme de l’homme ? À Dieu ne plaise ! Comment donc ne lisons-nous pas dans l’Écriture : L’âme de toute chair de bête; mais : « L’âme de toute chair, c’est son sang ? » Qui dit toute chair en général, dit en même temps la chair de l’homme. Est-ce parce qu’il y a quelque chose de vital dans le sang, parce qu’il est le principal soutien de cette vie charnelle, en se répandant par toutes les veines dans le corps tout entier, qu’on donne le nom d’âme, non à la vie qui continue en se séparant du corps, mais à cette vie corporelle qui finit à la mort ? En nous servant du même nom, nous disons de cette vie, qu’elle est temporelle, et non éternelle ; mortelle, au lieu d’être immortelle ; tandis que l’immortalité est l’essence de l’âme, portée par les Anges dans le sein d’Abraham[4] ; de l’âme à qui il fut dit : « Tu seras aujourd’hui avec moi dans « le paradis[5]; » de l’âme enfin, qui brûlait au milieu des tourments de l’enfer[6]. C’est donc en prenant l’âme dans le sens de cette vie temporelle, que Paul disait : « Je n’estime pas mon âme plus précieuse que moi [7] », voulant montrer par là qu’il était prêt à donner sa vie pour l’Évangile. Car l’âme, entendue dans l’autre sens, celle qui se sépare du corps, il l’estimait la plus précieuse, et c’est pour elle qu’il acquérait de si grands mérites. On trouve encore d’autres locutions semblables. Cette vie temporelle du corps a donc son principal siège dans le sang. Mais que signifient ces mots : « Je vous l’ai donné à l’autel de Dieu, afin qu’il prie pour votre âme[8] », comme si l’âme pouvait prier pour l’âme ? Est-ce que le sang prie pouf le sang, et serions-nous en souci pour notre sang, lorsque nous voulons qu’on prie pour notre âme ? Ce serait absurde.
2. Mais ce qui serait plus absurde encore, ce.seraitd'imaginer que le sang d’un animal pût intercéder en faveur de l’âme de l’homme, qui est immortelle : surtout, lorsque l’Écriture déclare, dans l’Épître aux Hébreux, que le sang des anciennes victimes n’a servi de rien pour apaiser Dieu irrité par les péchés des hommes ; mais qu’il était le symbole de la grâce. « Il est impossible en effet, dit-elle, que le sang des taureaux et de boucs ôte les péchés[9]. » Une seule explication est donc admissible : comme le Médiateur, figuré à l’avance par tous ces sacrifices qu’on offrait pour les péchés, interpose sa prière en faveur de notre âme, ce nom d’âme a été donné à ce qui en est la figure.
3. Or, c’est l’usage qu’une chose qui en signifie une autre, prenne le nom de la chose signifiée ; c’est ainsi que nous lisons : « Les sept épis sont sept années[10] ; » au lieu de : signifient sept années ; et encore : « Les sept bœufs sont sept années : » il existe beaucoup d’exemples semblables. De là cette parole:« La pierre était le Christ[11]. » L’Apôtre ne dit pas : La pierre signifie le Christ ; mais il s’exprime comme si elle l’était en effet, quoique assurément elle ne le fût qu’en figure et non en réalité. Ainsi le sang s’appelle-t-il âme dans le langage symbolique, parce que cette sorte de vie qu’il communique au corps, lui donne de l’analogie avec l’

  1. Id. 18, 36-39
  2. Gen. 22, 3-10
  3. Lev. 17, 10-12
  4. Luc. 16, 23
  5. Id. 23, 43
  6. Id. 16, 23
  7. Act. 20, 24
  8. Lev. 17, 11
  9. Heb. 10, 4
  10. Gen. 41, 26
  11. 1Co. 10, 4