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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/179

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pénible pour toi. C’est ce qu’a fait le Prophète, car il précise combien de temps ce labeur sera devant lui : « Jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire du Seigneur, et que je comprenne la fin des choses[1] ». Voilà une grande parole, mes frères. Je suis dans un long travail, dit le Prophète, et je vois devant moi un labeur en quelque sorte inextricable, quand je veux examiner comment Dieu connaît les choses humaines et en prend soin, et comment n’est-il point injuste, alors que les pécheurs, les criminels sont heureux sur la terre, tandis que les hommes pieux, qui le servent avec fidélité, sont souvent dans l’épreuve, et brisés par la tribulation : voilà ce qu’il est très difficile de comprendre, mais seulement « jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de Dieu ». Mais que verras-tu dans ce sanctuaire, afin de résoudre cette difficulté ? « Je comprendrai », dit le Psalmiste, « la fin des choses », non celles qui sont présentes. C’est vers le sanctuaire de Dieu que je dirige mes yeux pour voir la fin, peu soucieux du présent. Tout ce qui porte le nom d’homme, toute cette masse de mortels doit subir l’examen, tout alors sera pesé ; et alors seront appréciées les œuvres des hommes. Aujourd’hui tout est enveloppé d’un nuage, mais Dieu connaît les mérites de chacun. « Je comprendrai », dit le Prophète, « quelle est la fin » ; non par moi-même, car il n’y a devant moi que labeur. Comment alors « comprendrai-je la fin ? » En entrant dans le sanctuaire de Dieu. C’est donc là qu’il comprendra pourquoi les méchants sont heureux ici-bas.
24. « A cause de leurs artifices, vous les avez fait tomber[2] » À cause de leurs artifices, ou de leur fraude : parce qu’ils cherchent la fraude, ils sont trompés. Qu’est-ce à dire : Ils sont trompés, parce qu’ils veulent tromper ? Ils veulent tromper les hommes par mille artifices, eux-mêmes sont trompés, et délaissent les biens de l’éternité, pour les biens du temps, Donc, mes frères, ils se trompent en voulant tromper. Je vous l’ai déjà dit, mes frères, quelle âme peut avoir celui qui vole un manteau, et qui perd la foi ? Est-ce bien celui qui perd ce vêtement qui est victime de la fraude, ou celui qui éprouve un si grand dommage ? C’est le premier, si le manteau est plus précieux que la foi ; mais si la foi est infiniment préférable au monde enlier, l’un perdra son manteau à la vérité, mais il est dit à l’autre : « Que sert à l’homme de gagner le monde, s’il vient à perdre son âme[3] ». Qu’arrive-t-il donc aux méchants ? « A cause de leurs artifices vous les avez fait tomber : vous les avez humiliés pendant qu’ils s’élevaient ». Il n’est pas dit : Vous les avez humiliés, parce qu’ils s’élevaient : car ce n’est point après qu’ils se sont élevés que vous les avez humiliés, mais à l’instant même qu’ils s’élevaient vous les avez humiliés. Car s’élever ainsi, c’est déjà tomber, « Vous les avez humiliés pendant qu’ils s’élevaient ».
25. « D’où leur est venue cette catastrophe subite[4] ? » Le Prophète s’étonne à leur sujet, il comprend leur dernière fin. « Ils se sont véritablement évanouis » comme une fumée qui ne s’élève que pour se dissiper. Comment dit-il qu’« ils se sont évanouis ? » Il en parle comme un homme qui comprend la fin des choses. « Ils se sont évanouis ; ils ont péri à cause de leur iniquité ».
26. « Comme le songe d’un homme qui s’éveille[5] ». Comment se sont-ils évanouis ? Comme s’évanouit le songe d’un homme qui s’éveille. Suppose un homme qui voit en songe, qui dans son rêve croit avoir trouvé des trésors, il est riche, mais seulement jusqu’à ce qu’il s’éveille. Ces hommes se sont donc évanouis, « comme le songe de cet homme à son lever » ; il cherche, et ne trouve rien ; rien dans ses mains, rien dans son lit. Il s’était endormi pauvre, un songe l’avait enrichi ; il eût été riche sans le réveil, mais il s’est éveillé, et n’a retrouvé que la misère, qui l’avait abandonné dans son rêve. Ainsi les méchants retrouveront la misère qu’ils ont entassée. Quand ils s’éveilleront de cette vie, alors s’évanouira ce qu’ils ont possédé pendant leur sommeil. Tel est le songe pour l’homme qui s’éveille. Et pour éviter cette objection : N’est-ce donc rien à vos yeux que cet éclat qui les environne, rien que cette pompe, rien que ces titres, que ces images, que ces statues, que ces louanges, que cette foule de clients ? « Seigneur », répond le Prophète, « vous anéantirez leur image dans votre cité ». Je vous parlerai donc avec liberté, mes frères, dans la place que j’occupe et qui m’y autorise, car, quand nous nous mêlons à vous, c’est plus pour vous

  1. Ps. 72,17
  2. Id. 18
  3. Mt. 16,26
  4. Ps. 72,19
  5. Id. 20