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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/180

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soutenir que pour vous instruire ; je vous en supplie donc, dans la crainte et dans l’amour du Christ, ô vous qui êtes privés de ces biens, ne les convoitez point, et vous qui les possédez, n’y mettez point votre confiance. Remarquez-le, je ne vous dit point : Vous serez damnés dès lors que vous les possédez ; mais : Vous serez damnés, si ces biens vous donnent de la présomption, s’ils stimulent votre orgueil, s’ils vous grandissent à vos propres yeux, s’ils vous font mépriser les pauvres, si dans l’exaltation de votre vanité, vous en venez à oublier la condition de la nature humaine. En ce cas, en effet, Dieu devrait à sa justice de châtier au dernier jour, et d’anéantir dans sa cité l’image de ces hommes. Que celui qui est riche le soit donc, selon le précepte de l’Apôtre : « Ordonnez », dit-il, « aux riches de ce monde, de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie ». Il réprime ainsi l’orgueil des riches, et leur donne un conseil. Comme si ces riches lui disaient : Nous avons les richesses, et vous nous défendez de nous enorgueillir, vous nous interdisez d’étaler toutes les pompes de nos richesses, que ferons-nous donc de ces biens ? N’ont-ils pas occasion d’en faire usage ? « Qu’ils soient riches en bonnes œuvres », dit l’Apôtre, « qu’ils donnent facilement, et qu’ils prêtent ». Que leur en reviendra-t-il ? « Qu’ils se fassent ainsi un trésor, et s’établissent un fondement solide pour l’avenir, afin d’arriver à la véritable vie[1] ». Où doivent-ils s’amasser un trésor ? où l’interlocuteur a jeté les yeux, quand il est entré dans le tabernacle de Dieu. Que tous ceux d’entre vous, mes frères, qui sont riches, tremblent à cette parole ; que tous ceux qui ont des biens, de l’or, de l’argent, des esclaves, des honneurs, tremblent quand le Prophète s’écrie : « Seigneur, vous réduirez au néant leur image dans votre cité ». N’est-il pas bien juste que Dieu anéantisse leur image dans sa cité, lorsque dans leur cité terrestre ils ont anéanti l’image de Dieu ? « Vous réduirez donc au néant, Seigneur, leur image dans votre cité ».
27. « Alors mon cœur s’est trouvé dans la joie ». Voici l’objet de ses tentations. « Mon cœur s’est trouvé dans la joie, et mes reins se sont changés[2] ». Mes reins se changeaient, lorsque je faisais mes délices des biens temporels. On peut aussi donner ce sens : « Parce que mon cœur a mis sa joie en Dieu, mes reins se sont changés », c’est-à-dire mes affections charnelles se sont changées, et je suis devenu entièrement chaste. « Mes reins se sont changés » ; voyons de quelle manière.
28. « Voilà que j’ai été réduit au néant, et je ne l’ai point connu[3] ». Moi qui vous parle maintenant contre les richesses, j’ai quelquefois désiré ces sortes de biens. Aussi, « ai-je été réduit au néant, quand mes pieds chancelaient ». « J’ai été réduit au néant sans rien connaître ». On voit dès lors qu’il ne faut pas désespérer de ces hommes dont je viens de parler.
29. Qu’est-ce à dire : « Je ne l’ai point connu ? » « J’étais devant vous comme le stupide animal, et néanmoins j’étais toujours avec vous[4] ». Il y a une grande différence entre ce nouvel interlocuteur et les autres. Celui-ci a ressemblé à l’animal par ses désirs terrestres, quand, réduit au néant, il n’a point connu les biens éternels ; mais il ne s’est point éloigné de Dieu, car il n’a point espéré recevoir ces biens des esprits malins, ni du diable. Je vous en ai déjà fait la réflexion, c’est la synagogue qui parle ici, ou ce peuple qui n’a point servi les idoles. J’ai donc ressemblé aux bêtes, en espérant de mon Dieu les biens terrestres ; mais je ne me suis jamais séparée de mon Dieu.
30. Dès lors qu’elle ne s’est point éloignée de Dieu, même en ressemblant à l’animal, elle ajoute : « Vous avez tenu la main de ma droite[5] ». Elle ne dit point Ma main droite, mais « la main de ma droite » ; si c’est la main de la droite, la main a donc une main. « Vous avez tenu la main de ma droite », afin de me conduire. Que nous marque cette main ? la puissance. Nous disons de quelqu’un qu’il tient dans sa main ce qu’il tient en son pouvoir. C’est ainsi que, en parlant de Job, le diable dit à Dieu : « Etendez votre main et ôtez-lui ce qu’il a[6] ». Que signifie : « Etendez votre main ? » Donnez-moi le pouvoir. La main de Dieu est donc la puissance de Dieu, selon qu’il est écrit ailleurs : « La mort et la vie sont dans les mains de la langue[7] ».

  1. 1 Tim. 6,17-19
  2. Ps. 72,21
  3. Id. 22
  4. Id. 23
  5. Id. 24
  6. Job. 1,11
  7. Prov. 18,21