Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/186

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Tel est le désastre que voit Asaph, et qu’il pleure dans notre Psaume ; dans ses lamentations il nous apprend à discerner les biens de ta terre des biens du ciel, et l’Ancien Testament du Nouveau : afin que tu saches par où il te faut passer, ce qu’il te faut espérer, à quels biens tu dois renoncer ou t’attacher. Il commence donc ainsi.
4. « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous rejetés jusqu’à la fin[1] ? » Nous avez-vous repoussés à jamais dans la personne de ce peuple Juif, dans la personne de celte assemblée qui est spécialement appelée Synagogue ? « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous rejetés à jamais ? » Ce n’est point là une inculpation, c’est une question. « Pourquoi », quel motif vous a fait agir ainsi ? Qu’avez-vous fait ? « Vous nous avez rejetés jusqu’à la fin ». Qu’est-ce à dire, « à la fin ? » Peut-être jusqu’à la fin du monde. Ou bien nous auriez-vous rejetés jusqu’au Christ qui est la fin pour tous ceux qui croient[2] ? « Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous rejetés jusqu’à la fin ? votre fureur s’est-elle enflammée contre les brebis de votre bercail ? » Pourquoi cette colère contre les brebis de votre troupeau, sinon parce que nous nous attachions aux biens terrestres, et que nous ne connaissions point notre pasteur ?
5. « Souvenez-vous de votre peuple, que vous avez possédé depuis le commencement[3] ». Cette prière viendrait-elle des Gentils ? Dieu les a-t-il possédés à l’origine ? Et toutefois il possédait la race d’Abraham, le peuple d’Israël, né selon la chair des Patriarches qui sont aussi nos pères, car nous sommes devenus leurs enfants, non plus en vivant selon la chair, mais en imitant leur foi. Mais qu’est-il arrivé à ce peuple qui fut tout d’abord l’héritage de Dieu ? « Souvenez-vous, Seigneur, de ce peuple que vous avez possédé depuis le commencement. Vous avez « racheté le sceptre de votre héritage[4] ». Ce peuple, qui est le vôtre, c’est « le sceptre de votre héritage que vous avez racheté ». Reportons-nous à ce que Dieu fit tout d’abord quand il voulut posséder en héritage ce peuple qu’il délivra de l’Égypte, quel signe donna-t-il à Moïse, alors que Moïse lui disait : « Quel signe leur donnerai-je, pour leur montrer que vous m’envoyez ? Et le Seigneur lui répondit : Que tiens-tu en ta main ? une houlette. Jette-la sur la terre. Et Moïse jeta sur la terre sa houlette qui devint un serpent, et Moïse eut peur et s’enfuit. Or, le Seigneur lui dit : Saisis-le par la queue, et il le saisit, et il redevint une houlette, comme auparavant ». Qu’est-ce que cela signifie ? Car ce ne fut point une action sans motif. Interrogeons les saintes Écritures. À quoi aboutit pour l’homme l’insinuation du serpent ? À la mort[5]. Donc la mort vient du serpent. Si la mort vient du serpent, dans le sceptre il faut voir le serpent, et dans le Christ la mort. De là vient que quand les Juifs mouraient au désert par la morsure des serpents, Dieu donna ordre à Moïse d’élever un serpent d’airain, et d’avertir le peuple que tout homme blessé par le serpent, qui le regarderait, serait guéri[6]. Ce qui arrivait ; et les hommes mordus par les serpents étaient guéris de cette blessure venimeuse, en regardant le serpent d’airain. Que signifiait cette merveille, être guéri d’un serpent par la vue d’un serpent ? Être sauvé de la mort par la foi en un mort ? Et toutefois « Moïse eut peur et s’enfuit[7] ». Que signifie cette fuite de Moïse, à la vue du serpent ? Quoi, mes frères, sinon ce que nous raconte l’Évangile ? À la mort du Christ, les disciples furent saisis de crainte, et oublièrent l’espérance qu’ils avaient eue en lui[8]. Mais qu’est-il dit ensuite ? « Prends-le par la queue[9] » Qu’est-ce à dire, u la « queue ? » Saisis la partie postérieure. C’est dans le même sens qu’il dit encore : « Tu me verras par-derrière[10] ». D’abord le sceptre de Moïse devint un serpent, et quand il en saisit la queue, ce fut un sceptre ; comme le Christ mourut d’abord, pour ressusciter ensuite. La queue du serpent est aussi la fin des siècles. Aujourd’hui l’Église marche à travers la mort. Les uns vont, les autres viennent par la mort comme par le serpent ; puisque c’est lui qui a semé la mort ; mais à la fin des siècles, que figure la queue du serpent, nous retournons à Dieu, nous devenons le royaume stable de Dieu, et alors s’accomplit en nous cette parole : « Vous avez racheté le sceptre de votre héritage ». Mais l’interlocuteur est ici la Synagogue ; et c’est plutôt parmi les Gentils que paraît racheté le sceptre de l’héritage du Seigneur ; car il n’y avait dans les Juifs qu’une espérance cachée, soit dans ceux

  1. Ps. 73,1
  2. Rom. 10,4
  3. Ps. 63,2
  4. Exod. 4,1-4
  5. Gen. 3,4-5
  6. Nb. 21,8 ; Jn. 3,14
  7. Exod. 4,3
  8. Lc. 24,21
  9. Exod. 4,4
  10. Id. 33,23