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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/200

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alors il n’y aura plus qu’un seul corps sous un seul chef, dans un même esprit, dans une même vie.
5. Que dit-il donc ? « Quand le temps sera venu » dit-il, « je jugerai les justices[1] ». Quand jugera-t-il les justices ? Quand le temps sera venu. Le temps n’est donc pas venu ; bénissons sa divine miséricorde qui prêche d’abord la justice, et ensuite juge les justices. Car s’il eût voulu juger avant d’avoir prêché, qui trouverait-il à sauver ? Qui pourrait-il absoudre ? C’est donc maintenant le temps de la prédication : « Je raconterai », dit-il, « toutes vos merveilles ». Écoute son récit, écoute sa prédication : car si tu le méprises : « Quand le temps sera venu », dit-il, « je jugerai les justices ». Je pardonne maintenant, dit-il, à celui qui fait l’aveu de ses fautes, je ne pardonnerai point à celui qui l’aura dédaigné. « Je chanterai en votre honneur, ô mon Dieu, la miséricorde et le jugement[2] », dit-il dans un autre psaume. « La miséricorde et « le jugement ». C’est maintenant « la miséricorde », et après « le jugement » ; la miséricorde qui pardonne les fautes, le jugement qui les châtie. Veux-tu ne point redouter le vengeur des crimes ? Aime celui qui pardonne, ne rejette point ses faveurs, ne t’élève point, ne dis point : je n’ai rien à me faire pardonner. Écoute ce qui suit : « Quand j’aurai reçu le temps, je jugerai les justices ». Est-ce au Christ que le temps doit échoir ? ou, le Fils de Dieu reçoit-il le temps ? Le temps n’est pas pour le Fils de Dieu, mais c’est le Fils de l’homme qui a reçu le temps. Lui-même est tout à la fois le Fils de Dieu par qui nous avons été faits, et le Fils de l’homme qui nous a refaits. Il a revêtu l’humanité, mais sans se dépouiller ; c’est l’homme qui a été élevé à un état supérieur, mais lui n’a pas été amoindri. Il n’a point cessé d’être ce qu’il était, il a pris ce qu’il n’était pas. Qu’était-il ? « Ayant eu la nature de Dieu, il n’a point cru faire usurpation en s’égalant à Dieu ». Ainsi dit l’Apôtre. Et qu’a-t-il reçu ? « Il s’est anéanti, et a pris la forme de l’esclave[3] ». Il a donc pris le temps comme il a pris la forme de l’esclave. Il a donc été changé, diminué, rapetissé, il est tombé en quelque défaut ? Loin de là. Comment donc « s’est-il anéanti en prenant la forme de l’esclave ? » Il a paru s’anéantir parce qu’il a pris une forme moindre, non qu’il soit déchu de son égalité avec Dieu. Que signifie donc, mes frères, cette parole : « Quand j’aurai reçu le temps, je jugerai les justices ? » Fils de l’homme, il a reçu le temps ; Fils de Dieu, il gouverne le temps. Écoute comment, Fils de l’homme, il a reçu le temps pour juger. Nous lisons dans l’Évangile : « Dieu lui a donné la puissance de rendre des jugements, parce qu’il est le Fils de l’homme[4] ». Comme Fils de Dieu, il n’a pas reçu la puissance de juger, car il n’a jamais été privé de ce pouvoir judiciaire : mais comme Fils de l’homme, le temps lui a été assigné pour naître et pour souffrir, comme pour mourir, pour ressusciter, pour monter au ciel, enfin pour venir juger le monde. Ce langage est aussi celui de ses membres, car il ne doit pas juger sans eux ; et il est dit dans l’Évangile : « Vous serez assis sur douze eu trônes, jugeant les douze tribus d’Israël[5]. » C’est donc Jésus-Christ tout entier, dans son chef, et dans ses membres ou dans les saints, qui dit : « Quand le temps sera venu pour moi, eu je jugerai les justices ».
6. Qu’arrive-t-il maintenant ? « La terre s’est effondrée ». Comment la terre a-t-elle pu s’effondrer, sinon à cause des péchés ? Aussi pécher s’appelle encore défaillir, et défaillir signifie en quelque sorte déchoir de la solidité, de la force, de la justice et de la vertu, pour se répandre comme l’eau. Ce n’est que par l’amour des biens inférieurs que nous péchons : de même que la force, pour nous, est dans l’amour des biens supérieurs, de même l’amour des biens d’ici-bas est use défaillance et comme une dissolution. Voyant l’homme s’effondrer ainsi dans le péché, le Dieu de la clémence et du pardon, le Dieu qui pardonne le péché sans le châtier encore, s’écrie : « La terre s’est effondrée, ainsi que eu ses habitants[6] ». C’est la terre qui s’est effondrée dans ceux qui l’habitent. Le Prophète explique, au lieu d’ajouter. Comme si tu disais : Comment la terre s’est-elle effondrée ? En a-t-on dérobé les fondements, et ne trouvant plus qu’un vide, s’y est-elle abîmée ? Ce que j’appelle la terre désigne « tous ceux qui l’habitent ». J’ai trouvé, dit-il, une terre pécheresse. Et qu’ai-je fait ? « J’en ai affermi les colonnes ». Quelles colonnes a-t-il affermies ? Ce qu’il appelle colonnes, ce sont les Apôtres. Ainsi saint Paul, parlant des autres

  1. Ps. 74,3
  2. Id. 100,1
  3. Phil. 2,6-7
  4. Jn. 5,27
  5. Mt. 19,28
  6. Ps. 74,4