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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/277

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Mais si des hommes qui ont fait mourir les envoyés de Dieu ne méritent pas qu’on leur adresse la parole, vous qui avez gardé le silence pendant ces cruautés, c’est-à-dire, vous qui avez voulu imiter, comme s’ils eussent été innocents, ceux qui se taisaient alors : « Jusques à quand jugerez-vous injustement, et prendrez-vous le visage des pécheurs ? » Voulez-vous aujourd’hui encore tuer l’héritier qui vient ? N’est ce point lui qui a voulu pour vous être sans père comme un orphelin ? N’est-ce point pour vous qu’il a enduré la faim et la soif comme un pauvre ? N’est-ce point lui qui vous a dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur[1] ? » N’est-ce point lui qui, étant riche, s’est fait pauvre pour l’amour de vous, afin que vous devinssiez riches par sa pauvreté[2] ? « Rendez donc justice à l’orphelin et à l’indigent, prenez en main la cause de l’homme faible et du pauvre[3] ». Proclamez la justice, non point de ceux qui sont riches et orgueilleux pour eux-mêmes, mais de celui qui a daigné se faire humble et pauvre pour l’amour de vous.
4. Mais, hélas ! ils lui porteront envie, et loin de l’épargner, ils diront : « Voici l’héritier, tuons-le, et l’héritage sera pour nous[4] ». « Arrachez donc le pauvre à l’oppression, et délivrez l’indigent de la main du pécheur[5] ». Ainsi dit le Prophète, afin que dans ce peuple où est né le Christ et où il est mort, on sache qu’ils n’ont pas été innocents d’un si grand crime, ceux dont le nombre allait, selon le langage de l’Évangile, jusqu’à inspirer aux Juifs la crainte de n’oser mettre la main sur le Christ[6], et qui en vinrent ensuite à une telle connivence, qu’ils l’abandonnèrent à la criminelle jalousie des princes des Juifs, quand ils pouvaient, s’ils l’eussent voulu, se faire redouter et empêcher que l’on mit la main sur lui. C’est d’eux qu’il est dit ailleurs : « Ces chiens muets n’ont su aboyer[7] ». Et cette autre parole : « Ainsi périt le juste, et nul n’y fait attention[8] ». Il a péri, en effet, autant qu’il était au pouvoir de ceux qui voulaient sa perte comment eût-il pu périr en mourant, celui qui recherchait ainsi ce qui avait péri ? Or, si le Prophète adresse un reproche si sévère et si juste à ceux dont le silence a permis de commettre un tel crime : quels reproches, ou plutôt quels châtiments ne mériteront point ceux qui l’ont accompli par malice et de propos délibéré ?
5. Toutefois le verset suivant leur convient admirablement à tous : « Ils n’ont point su, ils n’ont point compris, ils marchent dans les ténèbres[9] ». Car si les uns l’eussent connu, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de la gloire[10], et si les autres l’eussent connu, ils n’auraient jamais consenti à demander la délivrance de Barabbas, et la mort du Christ. Mais comme nous l’avons dit, « une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât[11] ». C’est par l’aveuglement de ce peuple, qu’après la mort du Christ, « tous les fondements de la terre ont été ébranlés ». Ils ont donc été ébranlés et le seront encore, jusqu’à ce que soit entrée cette plénitude des nations, marquée dans la prédestination de Dieu. Car à la mort du Christ, la terre trembla, les pierres se fendirent[12]. Et si nous entendons par les fondements de la terre ceux qui jouissent ici-bas de grands biens, c’est avec raison que le Prophète prédit ici leur trouble, car ils ne verront qu’avec étonnement les hommes aimer et embrasser l’humilité, la pauvreté, la mort, qui leur paraissent une affreuse misère dans le Christ ; ou bien eux-mêmes, à leur tour, mépriseront les vaines félicités d’ici-bas, pour aimer et embrasser ce genre de vie, Ainsi s’ébranlent les fondements de la terre, quand les uns admirent ces changements, et que les autres les éprouvent en eux-mêmes. C’est ainsi que nous appelons avec quelque raison, fondements du ciel, les saints et les fidèles, qui entrent dans l’édifice du royaume des cieux, et que l’Écriture en nomme les pierres vivantes[13], et dont la base primitive est le Christ né d’une vierge, et dont l’Apôtre a dit : « Nul ne peut poser un autre fondement s que celui qui a été posé, et ce fondement c’est Jésus-Christ[14] ». Viennent ensuite les Apôtres, les Prophètes, dont l’autorité affermit le céleste édifice, afin qu’en marchant à leur suite, nous entrions dans cette même construction. Aussi l’Apôtre dit-il aux Ephésiens : « Déjà vous n’êtes plus des étrangers et des

  1. Mt. 11,29
  2. 2 Cor. 8,9
  3. Ps. 81,3
  4. Mt. 21,31
  5. Ps. 71,4
  6. Lc. 22,2
  7. Isa. 56,10
  8. Id. 57,1
  9. Ps. 81,5
  10. 1 Cor. 2,8
  11. Rom. 11,25
  12. Mt. 27,51
  13. 1 Pi. 2,5
  14. 1 Cor. 3,11