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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/326

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Il habitera en nous, et nous habiterons en lui ; tout lui sera soumis, afin qu’il soit Dieu tout en tous[1]. « Bienheureux donc ceux qui habitent votre demeure ». Pourquoi bienheureux ? Parce qu’ils auront de l’or, de l’argent, une maison nombreuse, de nombreux enfants ? Pourquoi bienheureux ? « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles[2] ». Telle est la tâche ou plutôt le repos qui les rendra heureux. N’ayons donc, mes frères, d’autre désir que d’arriver à ce bonheur ; préparons-nous à bénir Dieu, à nous réjouir en Dieu. Nous vous le disions hier, autant qu’il était en nous : il n’y aura plus d’œuvre de miséricorde, puisqu’il n’y aura plus de misère. Tu n’y rencontreras ni pauvres à secourir, ni l’homme nu à revêtir, ni l’homme qui a soif, ni l’étranger, ni aucun malade à visiter, ni aucun mort à ensevelir, ni des hommes en procès à réconcilier. Que feras-tu donc ? Des besoins corporels te forceront-ils à défricher, à labourer, à pratiquer le négoce, à voyager ? Ce sera le repos suprême ; car il n’y aura plus de ces travaux que la nécessité nous impose : et avec la nécessité disparaîtront les œuvres de nécessité. Qu’arrivera-t-il donc ? Le Prophète l’a dit, comme une langue humaine le peut dire e Tu es comme le séjour de tous ceux qui « tressaillent de joie ». Pourquoi comme le séjour ? Parce que la joie que nous ressentirons alors, est de celles que nous ne connaissons point. Je vois ici-bas bien des délices, beaucoup se réjouissent en cette vie, l’un pour tel motif, l’autre pour tel autre motif ; mais je ne trouve rien de comparable à cette joie, qui sera comme un agrément sans fatigue. Si je dis simplement un agrément, tel homme va penser à l’agrément qu’il trouve à boire, dans un festin, dans l’avarice, dans les honneurs d’ici-bas. Car les hommes trouvent là des transports et une espèce de folie : mais, « il n’y a point de joie pour l’impie », a dit le Seigneur[3][4]. Il est donc une joie que l’œil n’a point vue, que l’oreille n’a pas entendue, qui n’est pas entrée dans le cœur de l’homme[5]. « Tous ceux qui demeurent en vous, sont comme dans la joie ». Préparons-nous donc à une joie supérieure ; nous pouvons bien en trouver des images ici-bas, mais elle n’y est point : ne nous préparons point à jouir dans le ciel de ce qui fait ici-bas notre joie, autrement notre abstention deviendrait l’avarice. Vous invitez des hommes à un repas magnifique, où l’on doit servir beaucoup de mets recherchés ; ils ne dînent pas : et si vous en demandez la cause, ils répondent : Nous jeûnons. Jeûner est assurément une œuvre sainte, une œuvre chrétienne. Mais ne vous hâtez pas de louer ; cherchez la cause, et vous verrez qu’il s’agit du ventre, et non de la religion. Pourquoi ce jeûne ? C’est de peur que des mets vulgaires n’embarrassent l’estomac, et qu’on ne puisse toucher ensuite aux mets délicats. C’est donc la sensualité que l’on recherche dans le jeûne. Chose étrange que le jeûne ! tantôt il réprime les appétits, la sensualité, tantôt il les favorise. Si donc, mes frères, c’est un plaisir semblable que vous espérez dans cette patrie, où nous invite la trompette céleste, si vous vous abstenez des plaisirs d’ici-bas, pour en recevoir de semblables et au centuple là-haut ; vous ressemblez à ceux qui jeûnent pour mieux manger, et qui sont tempérants par intempérance. Arrière toutes ces pensées ! Préparez-vous à des joies ineffables, et purifiez votre cœur de toutes les affections de la terre, de tous les plaisirs du siècle. Nous venons dans le ciel, et ce que nous verrons nous rendra bienheureux, et cette vue seule nous suffira. Eh ! quoi donc ? Nous ne mangerons point ? Oui, sans doute, nous mangerons, et telle sera notre nourriture, qu’elle nous rassasiera, sans nous manquer jamais. « Tous ceux qui demeurent en vous, sont comme dans la joie ». Nous avons dit quelle sera cette joie : « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ô mon Dieu, ils vous béniront dans les siècles des siècles ». Louons donc le Seigneur ici-bas, autant qu’il est en nous ; mêlons nos gémissements à nos louanges, car en louant Dieu, nous le désirons, sans le posséder encore. Et quand nous le posséderons, nous serons tout en lui, le gémissement disparaîtra pour faire place à la louange, notre unique, notre pure et notre éternelle préoccupation.

  1. 1 Cor. 15,28
  2. Ps. 83,5
  3. Isa. 48,22
  4. selon les LXX
  5. 1 Cor. 2,9