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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/355

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ou des autres parties de la terre, puisque Dieu existe non seulement avant la terre, mais avant le ciel et la terre, et avant toute créature matérielle ou spirituelle ? Mais peut-être a-t-on voulu par cette distinction mettre une différence entre les créatures raisonnables, et appeler montagnes les anges, et terre les hommes qui sont moins élevés. Aussi, bien que tout soit créé, et que les expressions formé ou fait se puissent employer indistinctement : s’il y a pourtant quelque différence entre ces deux mots, les anges auraient été faits, puisqu’ils sont classés dans les œuvres du ciel, et que le dénombrement se termine ainsi : « Il dit, et tout fût fait : il commanda et tout fut créé[1] ». Mais une forme fut donnée à la terre afin qu’en fût tiré le corps de l’homme. Telle est en effet l’expression dont se sert l’Écriture : « Dieu figura ou forma l’homme du limon de la terre[2] ». Ainsi donc, ô mon Dieu, vous êtes, et avant que tout ce qu’il y a de grand et de relevé fût fait : qu’y a-t-il en effet de plus grand qu’une créature céleste et raisonnable ? et avant que la terre fût formée, de manière qu’il y eût sur la terre quelqu’un qui pût vous connaître et vous louer ; c’est peu encore, car tout a commencé, soit dans le temps, soit avec le temps, mais « vous êtes depuis le siècle jusqu’au siècle », ou mieux, de l’éternité à l’éternité. Car Dieu n’est pas depuis le siècle, lui qui est avant tous les siècles ; ni jusqu’au siècle qui est borné, tandis que Dieu n’a pas de bornes. Mais à cause de l’ambiguïté de l’expression grecque, il arrive souvent que dans les Écritures la traduction latine mette le siècle pour l’éternité, et l’éternité pour le siècle. Elle a raison de ne point dire : Vous avez été depuis le siècle, et vous serez jusqu’au siècle : mais elle a employé le temps présent, pour nous exprimer en Dieu une substance immuable, et dans lui il n’y a ni fut ni sera, mais seulement : est. Aussi est-il dit : « Je suis Celui qui suis » ; et : « Celui qui est, m’a envoyé vers vous[3] » ; et encore : « Vous les changerez, et ils seront changés, mais vous êtes le même, et vos années ne passeront point[4] ». Telle est l’éternité qui est devenue pour nous an refuge, afin que nous ayons recours à elle dans cette mobilité du temps et que nous y demeurions à jamais.
4. Mais parce que durant notre séjour ici-bas nous sommes environnés de tentations nombreuses et dangereuses, et que nous avons à redouter qu’elles ne nous éloignent de ce refuge, voyons ce que l’homme de Dieu lui demande ensuite dans sa prière. « Ne jetez pas l’homme dans la bassesse[5] ». C’est-à-dire, qu’il ne se détourne pas de vos biens sublimes et éternels que sous lui promettez, pour désirer les biens temporels et céder à des goûts terrestres. Dès lors il demande à Dieu ce que Dieu veut qu’on lui demande. Car c’est ainsi que nous disons dans notre prière : « Ne nous induisez point dans la tentation[6] » Enfin il ajoute : « Et vous avez dit : Convertissez-vous, enfants des hommes ». Comme s’il disait : Je vous demande ce que vous avez ordonné : il rend gloire à sa grâce, « afin que tout homme qui se glorifie se glorifie en Dieu[7] », sans le secours duquel nous ne pouvons par le seul arbitre de notre volonté surmonter les tentations de cette vie. « Ne poussez pas l’homme dans la bassesse », dit le Prophète, et pourtant vous avez dit, Seigneur : « Convertissez-vous, enfants des hommes ». Mais donnez-nous ce que vous avez commandé, en écoutant ma prière, et en soutenant la foi de celui qui veut agir.
5. « Mille ans devant vos yeux, en effet, sont comme le jour d’hier qui s’est écoulé[8] ». Il faut donc nous détourner de tout ce qui passe et qui s’écoule, pour nous tourner vers votre asile, où vous êtes saros aucun changement ; quelque longue en effet que l’on souhaite une vie : « Mille ans devant vos yeux sont comme le jour d’hier, qui s’est écoulé » ; pas même commue le jour de demain qui est à venir tant il est vrai que l’on doit regarder comme écoulé ce qui finit avec le temps ! De là vient pour tout cela le mépris de saint Paul qui oubliait tout ce qui est en arrière, c’est-à-dire les choses temporelles, pour s’élancer vers l’avertir[9], ou vers les choses de l’éternité. Et de peur qu’on ne vienne à s’imaginer que mille années sont en Dieu comptées pour un jour, comme si Dieu avait des jours si longs, tandis qu’il n’y a dans cette expression qu’un mépris du temps, quelque prolongé qu’il soit, le Psalmiste ajoute : « Et comme une veille pendant la nuit ». Or, une veille ne se prolonge pas au-delà de trois heures. Et toutefois les

  1. Ps. 148,5
  2. Gen. 2,7
  3. Exod. 3,14
  4. Ps. 101,27-28
  5. Ps. 89,3
  6. Mt. 6,13
  7. 1 Cor. 1,31
  8. Ps. 89,4
  9. Phil. 3,13