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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/367

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va vendre tout ce que tu possèdes, et donne-le aux pauvres[1] ». Qu’est-ce à dire : « Veux-tu être parfait ? » Veux-tu juger et n’être point jugé ? Celui qui entendit cette parole s’en alla triste ; mais beaucoup ont suivi ce conseil, et le suivent encore aujourd’hui : donc ils jugeront avec le Christ. Beaucoup cependant se promettent de juger avec le Christ, par cela même qu’ils ont tout quitté pour le suivre ; mais ils ont confiance en eux-mêmes, ils ont une enflure et un orgueil que Dieu seul peut connaître, et ils ne peuvent se dérober au démon de midi, c’est-à-dire éviter la chute dans une violente persécution. Il y en avait beaucoup alors qui avaient donné aux pauvres tous leurs biens, qui s’étaient promis de siéger avec le Christ, de juger les nations, et qui, sous le feu de la persécution, ou sous le démon de midi faiblirent dans les tourments, et abjurèrent le Christ. Ils sont tombés à ses côtés, tombés alors qu’ils allaient s’asseoir avec le Christ pour juger le monde.
10. Disons maintenant ceux qui tombent à sa droite. Vous le savez, mes frères, quand apparaîtra le tribunal où jugeront avec le Christ ceux qui auront voulu être et qui auront été réellement parfaits, enracinés et affermis dans la charité, sans se dessécher au soleil et au démon du midi, voici ce que fera le Seigneur : « Toutes les nations seront rassemblées devant lui, et il les partagera comme un berger sépare les brebis des boucs, et il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche[2] », et ils seront jugés. Les juges seront nombreux, mais bien moins nombreux que ceux qui se tiendront devant le tribunal ; car les uns sont désignés par le nombre de mille, et les autres par celui de dix mille. Que dira le Christ à ceux de droite ? « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai été étranger, et vous m’avez recueilli ». Il est clair qu’il tiendra ce langage à ceux qui ont eu des biens en ce monde afin d’accomplir ces œuvres de charité. Car ceux-ci régneront avec ceux-là ; les uns sont comme les soldats, les autres comme les fournisseurs des vivres ; mais soldats et fournisseurs forment un même royaume, sous un seul chef. Au soldat le courage, au fournisseur le dévouement : le soldat courageux combat le démon par ses prières, et le fournisseur dévoué prépare les vivres au soldat. Que votre charité veuille bien le comprendre. Au dernier jour enfin ceux qui seront placés à droite, entendront ces paroles : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous est préparé dès l’origine du monde ». Il en était beaucoup en ce moment, quand s’alluma le feu de la persécution, quand se fit sentir le démon de midi, il en était beaucoup qui se promettaient de juger avec le Christ ; mais impuissants à supporter la violence de la persécution, ils sont tombés à son côté ; d’autres ne se promettaient point d’être assis parmi les juges, mais se promettaient pour prix de leurs aumônes d’être à la droite, et pensaient que le Christ leur dirait : « Venez, tu bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde ». Mais comme ils sont en grand nombre ceux qui seront frustrés de leur espérance d’être assis parmi les juges, et bien plus nombreux encore ceux qui n’obtiendront point d’être à la droite comme ils l’espéraient, le Prophète s’écrie en s’adressant au Christ : « il en tombera mille à votre côté, et dix mille à votre droite ». Mais comme beaucoup d’autres qui n’ont eu pour les choses temporelles aucun souci, seront alors avec le Christ, qui sera en eux comme dans ses membres, le Prophète ajoute : « Mais le mal n’approchera point de vous ». N’est-ce qu’à la tête qu’il dit : « N’approchera point ? » Non assurément : mais il n’approchera ni de Pierre, ni de Paul, ni de tous les Apôtres, ni de tous les martyrs, qui n’ont point cédé aux tourments. Comment donc tu n’en approchera-t-il point ? e Pourquoi dès lors ces tortures ? Le mal ne s’est approché que de leur chair, et non du siège de leur foi. Cette foi donc était à l’abri de la crainte et des tourments. Qu’on les torture, l’effroi n’a aucun accès auprès d’eux ; qu’on les torture, et ils se riront des tourments, dans leur confiance en celui qui a vaincu le premier afin que les autres pussent vaincre. Or, quels sont les vainqueurs, sinon ceux qui n’ont point compté sur eux-mêmes ? Et remarquez bien ceci, mes bien-aimés ; c’est ce qui a fait dire au Prophète tout ce qui précède : « Il dira au Seigneur : Vous êtes mon appui et mon refuge » ; et : « J’espérerai en lui. Car c’est lui qui me délivrera du filet des chasseurs ». « Il me délivrera », et non pas moi. « Il me fera un ombrage entre ses épaules ». Mais quand ? Quand tu « espéreras sous ses ailes,

  1. Mt. 19,21-22
  2. Id. 25,22-33