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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/394

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DISCOURS SUR LE PSAUME 93[1].

LE MÉLANGE DES BONS ET DES MÉCHANTS.

La prospérité du méchant est ici-bas un scandale pour les faibles, qui sont portés à imiter ceux qu’ils croient heureux, oui n’éviter le mal que par la crainte. Dieu découvre le mal qu’ils feraient sans cette crainte, et dans l’occasion ils montrent leur méchanceté. Ainsi naguère une famille attirait ses victimes à imiter ses forfaits. Le lion bravait les gardiens, que redoute le loup non moins coupable. Dieu veut nous faire pratiquer la justice par amour pour cette justice. Ce psaume tend à guérir nos pensées ; il est pour le quatrième jour, ou celui de la création des astres, parce que les saints doivent briller comme des astres, mais sans qu’on doive les adorer ils brillent en effet et poursuivent leur carrière sans s’arrêter aux crimes dont ils sont les témoins muets. Ils doivent supporter les injustes afin de ne point tomber du ciel ou de la loi, que nous devons lire ici-bas afin que rien ne nous ébranle. Dieu se vengera de ceux qui murmurent contre sa providence, de même qu’il n’épargnait personne ici-bas, quand il encourageait les justes par la promesse du ciel. Il les épargnera moins encore maintenant qu’ils l’ont crucifié, à moins qu’en s’humiliant ils ne méritent de faire des miracles, comme quelques-uns de ses bourreaux. Ils croient ou que Dieu ignore leurs crimes, ou que ces crimes lui plaisent. Mais d’abord le juste doit savoir que c’est ici-bas le lieu de souffrir, que la patience fait partie du labeur, ensuite que Dieu qui a planté l’œil et l’oreille saura voir et entendre ; que le péché devient la fosse du pécheur, de l’orgueilleux, qui s’arroge le bien qu’il trouve en lui, ou qui se préfère aux autres, que Jésus-Christ nous apprend l’humilité, en prenant notre chair, en mourant sur la croix, et que relit humilité fait descendre Dieu vers nous ; que s’il corrige le juste ici-bas, c’est pour l’épargner dans l’éternité ; que nous devons adapter notre volonté à celle de Dieu ; qu’il a pris nos sentiments humains afin de les redresser, de les sanctifier ; qu’il nous donnera la force de surmonter nos tentations, nous amènera à confesser nos faiblesses, car il aime l’aveu, et il tendit la main à Pierre sur le point d’être submergé ; que nul homme injuste ne pourra s’asseoir auprès de celui qui fait de la douceur un précepte ; que s’il soumet à la douleur ceux qui lui appartiennent, que ne réserve-t-il pas aux pécheurs ? Que s’il s’est donné à nous ici-bas, que nous réserve-t-il dans l’éternité ? Il veut nous rendre le repos, un repos éternel, au prix d’un travail pendant notre vie. L’affection réveille notre foi comme la tempête réveilla les Apôtres. Aux menaces des méchouis opposons les menaces de Dieu, qui a le droit du potier, de faire des vases à sa volonté, qui se sert des méchants pour nous exercer, sauf à les traiter selon l’intention qui les guide. Que notre foi nous soutienne ici-bas par des actes de charité.


1. Nous avons écouté avec beaucoup d’attention la lecture du psaume, écoutons aussi ce qu’il plaît à Dieu de nous révéler des mystères qu’il y a cachés. Si Dieu en effet a jeté le voile du mystère sur quelques passages des Écritures, c’est moins pour nous les dérober, que pour nous forcer à frapper à la porte pour en obtenir l’entrée. Si donc vous frappez avec une tendre piété et une charité sincère, Dieu vous ouvrira,[2], lui qui voit ce qui vous excite à frapper. Chacun de nous sait qu’il y eut autrefois beaucoup de murmurateurs contre la patience de Dieu (et puissions-nous n’être point de ce nombre), des hommes qui s’affligeaient de voir les méchants et les impies vivre sur la terre, et même y obtenir de la puissance ; et ce qui est plus impénétrable encore, de leur voir contre les bons assez de puissance pour les opprimer ; de voir enfin les méchants dans la joie, les bons dans l’affliction ; les méchants dans la gloire, les justes dans l’humiliation. À la vue de ces désordres, et ils sont nombreux dans le genre humain, des hommes d’un esprit faible et impatient se persuadent que c’est en vain qu’ils sont vertueux, puisque Dieu détourne, ou semble détourner les yeux des bonnes œuvres que font les hommes pieux et fidèles, et augmenter encore les jouissances des méchants. Asses faibles dès lors pour se persuader que c’est sans profit qu’ils lâchent de vivre saintement ; ou bien ils sont portés à imiter les désordres de ceux qu’ils voient en quelque sorte fleurir ici-bas ; ou bien, si quelque faiblesse de caractère ou de conscience les fait reculer devant le mal, ils sont retenus plutôt par la crainte des lois humaines, que par l’amour de la justice, ou plus clairement, ils craignent d’encourir parmi les hommes la réprobation des hommes, et ils évitent les actions condamnables, sans toutefois éviter les pensées honteuses. Et pour toutes ces pensées iniques, celle qui en est la source est cette impiété qui leur persuade que Dieu néglige la conduite de ce monde, et n’en prend aucun soin ; qu’il ne met aucune différence entre les bons et les méchants, ou, ce qui est plus horrible encore ; qu’il favorise les méchants et persécute les bons. Tout homme

  1. Sermon donné probablement dans un autre diocèse, à la prière de quelques évêques
  2. Mt. 7,7