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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/54

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et contemplation. Je ne sais quel spectacle si grand nous est promis ; et ce spectacle, c’est Dieu lui-même fondateur de la cité. Belle et splendide cité, dont le fondateur est plus splendide encore : « Il convient de chanter votre gloire, ô Dieu », dit le Prophète. Mais où ? « En Sion », et non point à Babylone. Quiconque s’est mis en devoir d’en sortir, chante alors Jérusalem dans son cœur, d’après cette parole de l’Apôtre « Notre conversation est dans le ciel[1] ». « Quoique nous vivions dans la chair », dit-il encore, « nous ne combattons pas selon la chair[2] ». Déjà nous sommes en Jérusalem par le désir, déjà nous avons jeté dans cette terre notre espérance comme une ancre, afin de ne point faire naufrage sur cette mer. De même, alors que nous disons avec raison qu’un navire est à terre dès qu’il est à l’ancre, il flotte à la vérité, mais il est en quelque sorte amené à terre, pour résister aux vents et aux tempêtes ; ainsi contre les tentations de notre pèlerinage ici-bas, nous avons notre espérance fixée dans la cité de Jérusalem, et qui nous empêche d’être jetés contre les écueils. Celui-là donc chante en Sion, qui chante selon cette espérance ; qu’il dise alors : « C’est en Sion, ô Dieu, qu’il convient de chanter votre gloire » : oui, en Sion, non point à Babylone. Mais peut-être maintenant encore êtes-vous à Babylone. J’y suis, nous répond cet homme Plein d’amour, ce citoyen ; j’y suis, mais de corps seulement, et non de cœur. Ayant ainsi fait ces deux affirmations que j’y suis de corps et non de cœur : je ne chante point Babylone, car c’est mon cœur qui chante, et non point mon corps. Les citoyens de Babylone entendent, je le sais, ma voix corporelle ; mais le fondateur de Jérusalem entend les chants de mon cœur. De là vient que l’Apôtre exhortait les habitants à chanter des cantiques d’amour pleins de l’espérance de retourner à cette splendide cité, vision de la paix : « Chantez », leur disait-il, « chantez du fond de vos cœurs à la gloire de Dieu »[3]. Qu’est-ce à dire : « Chantez dans vos cœurs ? » Ne chantez point de cette Babylone où vous êtes ; mais chantez de cette patrie d’en haut que vous habitez par l’espérance. Donc, « c’est en Sion qu’il convient, ô Dieu, de chanter votre gloire ». C’est l’hymne de Sion, et non l’hymne de Babylone, qui vous est agréable. Ceux qui chantent à Babylone, sont citoyens de Babylone, et ne chantent point pieusement, même quand ils chantent l’hymne de Dieu. Écoute la parole de l’Écriture : « La louange n’est pas bonne dans la bouche du pécheur[4]. C’est en Sion, « ô Dieu, qu’il convient de vous bénir ».
4. « C’est à Jérusalem qu’on s’acquittera des vœux qu’on vous aura faits ». Ici-bas nous faisons des vœux, là-haut nous les acquitterons. Qui donc fait ici-bas des vœux qu’il n’acquitte point ? Celui qui ne persévère pas jusqu’à la fin dans les vœux qu’il a faits. Aussi le Psalmiste a-t-il dit ailleurs : « Faites des vœux au Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les[5]. C’est en Jérusalem que l’on tiendra ses vœux ». C’est là que nous serons entièrement, c’est-à-dire corps et âme, à la résurrection des justes ; c’est là que nos vœux seront totalement accomplis ; non seulement notre âme y sera, mais aussi notre chair, qui ne sera plus corruptible, car nous ne serons plus à Babylone, mais notre corps sera devenu céleste. Quel changement nous est promis ? « Tous nous ressusciterons », dit l’Apôtre, « mais nous ne serons pas tous changés ». Il indique aussi ceux qui seront changés. « En un clin d’œil, au son de la dernière trompette, car la trompette sonnera, et les morts ressusciteront incorruptibles désormais, c’est-à-dire dans leur intégrité, et nous serons changés ». Plus loin il nous explique en quoi consistera ce changement : « Il faut », dit-il, « que ce corps corruptible soit revêtu d’incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité, et après que ce corps de corruption sera revêtu d’incorruptibilité, que ce corps de mort sera revêtu d’immortalité, cette parole de l’Écriture s’accomplira : La mort a été absorbée dans sa victoire. O mort, où est donc ton aiguillon[6] ? » Dès que commencent à se former en nous les prémices de l’esprit qui nous font soupirer après Jérusalem, nous ressentons en notre chair corruptible bien des résistances qui deviendront insensibles quand la mort sera absorbée dans sa victoire. La paix régnera, il n’y aura plus de guerre. Or, le règne de la paix sera aussi le règne de cette cité qui est la vision de la paix. La mort ne nous sera donc plus un obstacle. Maintenant, combien n’avons-nous pas à lutter contre la mort ! De là viennent

  1. Phil. 3,20
  2. 2 Cor. 10,3
  3. Eph. 5,19
  4. Sir. 15,9
  5. Ps. 75,12
  6. 1 Cor. 15,51-55