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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/55

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ces sensualités de la chair, qui nous suggèrent tant de désirs coupables ; et quand même nous n’y consentirions pas, il nous faut néanmoins lutter pour n’y point consentir. La convoitise de la chair nous a donc tout d’abord conduits sans résistance, puis entraînés malgré nos efforts. Puis est venu le secours de la grâce, et alors, sans pouvoir désormais nous conduire ou nous entraîner, elle a lutté contre nous ; et après la lutte viendra la victoire. Si elle te livre aujourd’hui des assauts, du moins qu’elle ne te renverse pas ; et quand la mort sera absorbée dans la victoire, la lutte alors cessera. Qu’est-il dit ? « La mort sera notre dernier ennemi détruit »[1]. J’accomplirai mon vœu. Quel vœu ? Le même que l’holocauste. Or, on appelle holocauste ce qui est entièrement consommé par le feu ; l’holocauste est donc le sacrifice où tout est brûlé ; car olon signifie entièrement, et kausis, brûlure. Holocauste donc, brûlé entièrement. Que cette flamme nous gagne, flamme divine qui est en Jérusalem ; que la charité nous embrase jusqu’à la consomption de tout ce qu’il y a de mortel en nous, et que tout ce qui nous fait obstacle s’en aille en sacrifice au Seigneur. De là vient qu’il est dit ailleurs : « Dans votre amour, Seigneur, répandez vos bénédictions sur Sion, afin que s’élèvent les murailles de Jérusalem ; alors vous accepterez le sacrifice de justice, les oblations et les holocaustes[2]. C’est en Sion, ô mon Dieu, qu’il faut chanter votre gloire, et nos vœux pour vous s’accompliront en Jérusalem ». Ici nous cherchons si Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur ne nous serait point présenté commue le roi de cette cité : chantons donc jusqu’à ce que nous arrivions à quelque donnée plus claire. Déjà je pourrais vous dire à qui il est dit : « C’est vous, ô Dieu, qu’il convient de chanter dans Sion, et nos vœux pour vous s’accompliront en Jérusalem ». Mais, si je le disais, ce serait à moi plutôt qu’à l’Écriture que l’on croirait ; et peut-être ne me croirait-on pas. Écoutons la suite.
5. « Exaucez ma prière », dit le Prophète, « c’est à vous que s’adressera toute chair[3] ». Et le Seigneur nous dit qu’il a reçu la puissance sur toute chair[4]. Il commence donc à paraître en roi, quand il est dit : « C’est à vous que toute chair doit s’adresser. Toute chair donc », dit le Prophète, « doit s’adresser à vous ». Pourquoi toute chair doit-elle venir à lui ? Parce qu’il a pris une chair. Où toute chair viendra-t-elle ? Les prémices de la chair lui viennent d’un sein virginal : or, les prémices posées, le reste a dû suivre, et l’holocauste s’achever. Comment « toute chair ? » Tout homme. Et comment tout homme ? Veut-il nous prédire que tous croiront en Jésus-Christ ? Les impies, qui doivent être damnés, ne seront-ils pas en grand nombre ? Chaque jour bon nombre d’incrédules ne meurent-ils point dans leur infidélité ? Comment donc entendrons-nous : « Toute chair viendra vers vous ? » Toute chair, dit le Prophète, la chair de toute race : de toute race donc la chair viendra vers nous. Qu’est-ce à dire : la chair de toute race ? Est-il venu des pauvres, sans que vinssent aussi des riches ? ou des hommes d’humble condition, sans que vinssent aussi des grands ? ou des ignorants, sans que vinssent des savants ? ou des hommes, sans que vinssent des femmes ? ou des maîtres, sans que vinssent des esclaves ? ou des vieillards, sans que vinssent des jeunes gens ? ou des jeunes gens, sans que vinssent des adolescents ? ou des adolescents, sans que vinssent des enfants ? Ou des enfants, sans que l’on apportât des nouveau-nés ? ou des Juifs (car c’est de là que vinrent les Apôtres, et tant de milliers d’autres, qui furent croyants[5] après avoir été persécuteurs), sans que vinssent des Grecs ? ou des Grecs, sans que vinssent des Romains ? ou des Romains, sans que vinssent des barbares ? Et qui peut énumérer toutes les nations qui viennent à celui à qui s’adressent ces paroles : « C’est à vous que toute chair doit venir ? Exaucez ma prière, car toute chair doit venir à vous ».
6. « Les paroles des méchants ont prévalu sur nous, et vous nous pardonnerez nos iniquités[6] » Que signifie : « Les paroles des méchants ont prévalu sur nous, et vous nous pardonnerez nos iniquités ? ». Que nous sommes nés sur cette terre, et que nous avons rencontré des méchants dont nous avons écouté le langage. Que l’attention de votre charité m’aide à expliquer ma pensée. Tout homme apprend la langue du pays, de la contrée, de la ville où il est né ; il est imbu de ses mœurs, de sa vie. Comment un enfant né parmi les païens n’adorerait-il pas la pierre, quand ce culte lui est inoculé par ses parents ?

  1. 1 Cor. 15,26
  2. Ps. 50,20-21
  3. Id. 64,3
  4. Jn. 17,2
  5. Act. 2,41
  6. Ps. 64,4