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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/619

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celui qui est assis à la droite de son Père, d’être en ruine, afin que Dieu te relève. Car en persistant dans cette élévation criminelle, tu seras jeté à terre, et l’on ne bâtira rien en toi. C’est en effet de ces hommes que l’Écriture dit ailleurs : « Détruisez-les, et vous ne les reconstruirez plus ». Assurément le Prophète ne dirait point de quelques-uns : « Détruisez-les, et vous ne les reconstruirez plus[1] » ; si Dieu n’en détruisait d’autres pour les reconstruire. C’est ce qui a lieu maintenant, que le Christ juge parmi les nations, de manière à multiplier les ruines. « Il brisera sur la terre les têtes de plusieurs ». C’est ici, « sur la terre », en cette vie, qu’il brisera bien des têtes. Les orgueilleux, il les rend humbles ; et j’ose le dire, mes frères, il est mieux de marcher ici-bas, humblement et la tête brisée, que de lever fièrement la tête pour tomber au jugement dans la mort éternelle. Il brisera bien des têtes, en faisant des ruines, mais il comblera ces ruines en réédifiant.
20. « Il boira en chemin l’eau du torrent, et pour cela relèvera la tête[2] ». Voyons comme il boit en chemin l’eau du torrent. D’abord qu’est-ce que le torrent ? L’écoulement de la mortalité humaine. Un torrent se forme par les eaux des pluies, se gonfle, mugit, se précipite, et dans son impétuosité cesse de courir, c’est-à-dire achève sa course ; tel est le cours de tout ce qui est mortel. L’homme naît, vit, et meurt, et quand celui-ci meurt, celui-là vient au monde ; et après celui-là d’autres viendront encore. Les hommes donc se succèdent, viennent, s’en vont, et ne demeurent point. Qu’est-ce qui demeure ici-bas ? Qu’est-ce qui ne s’en va point ? Qu’est-ce qui ne s’en va point dans l’abîme comme l’eau des pluies ? Comme le fleuve, en effet, que forment tout à coup les pluies, les gouttes de rosée, se jette dans la mer et ne reparaît plus, et ne paraissait même point avant que la pluie l’eût formé ; ainsi le genre humain se forme dans le secret de Dieu, puis s’écoule, puis rentre par la mort dans l’invisible ; entre ces deux invisibles, il fait quelque bruit et passe. C’est donc à ce torrent qu’a bu le Christ, à ce torrent qu’il n’a pas dédaigné de boire. Boire à ce torrent, c’était pour lui, naître et mourir. La naissance et la mort, voilà tout ce torrent. Le Christ s’y est assujetti ; il est né, et il est mort ; c’est ainsi qu’il a bu en chemin l’eau du torrent. Il a bondi comme le géant, pour fournir sa carrière[3]. Il a donc bu en chemin l’eau du torrent, parce qu’il ne s’est pas arrêté dans le chemin des pécheurs[4]. Donc parce qu’il a bu l’eau du torrent il a élevé la tête : c’est-à-dire, parce qu’il a été humilié, parce qu’ « il a été soumis jusqu’à la mort, et la mort de la croix, voilà que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, et lui a donné un nom au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que Notre-Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu son Père[5] ».

  1. Ps. 27,5
  2. Id. 109,7
  3. Ps. 18,6
  4. Id. 1,1
  5. Phil. 2,8-11