Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/637

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a gardée dans les membres, lui donne un certain attrait pour le cœur des hommes grossiers. Mais, de ces membres dont la beauté est si ravissante pour toi, ô vanité de l’homme, viens nous montrer les mouvements, comme tu nous en montres les proportions.
2. « Elles ont une bouche et ne parlent point ; elles ont des yeux et ne voient point ; elles ont des oreilles et n’entendent point ; elles ont des narines et ne flairent point ; elles ont des mains et ne touchent point ; elles ont des pieds et ne marchent point ; et leur gosier ne rend aucun son »[1]. Il leur est donc bien supérieur, cet ouvrier qui a pu les fabriquer par le mouvement et l’adresse de ses mains : et pourtant tu rougirais d’adorer cet ouvrier. Toi-même, qui ne les as point faites, tu es bien supérieur, puisque tu fais ce qu’elles ne font point. La bête même leur est supérieure, et c’est pourquoi le Psalmiste ajoute : « Leur gosier ne rend aucun son ». Car après avoir dit tout à l’heure : « Elles ont une bouche et ne parlent point », à quoi bon, après avoir fait l’énumération des pieds à la tête, nous parler du cri du gosier, sinon, je crois, parce que nous comprenons que tout ce qu’il avait dit des autres nombres, était commun aux bêtes et aux hommes ? Car les bêtes voient, entendent, sentent, marchent, et même quelques-unes, comme les singes, se servent dès mains. Ce que le Prophète avait dit à propos de la bouche, est particulier à l’homme, puisque les bêtes ne parlent point. Mais afin qu’on ne puisse rapporter tout ce qui est dit, à l’œuvre des membres humains, ni préférer seulement les hommes aux dieux des nations, il ajoute après tout cela : « Leur gosier ne rend aucun son » ; ce qui est commun aux hommes et aux bêtes. Si, tout d’abord, quand il a énuméré les membres humains, à commencer par la bouche, il eût dit : « Elles ont une bouche, et ne crieront point », tout cela pourrait encore se rapporter à la nature humaine, et l’auditeur n’y trouverait pas aussi facilement quelque chose qui tînt de la bête. Mais quand, à propos de la bouche, il a dit ce qui est propre à l’homme, et qu’après l’énumération des différents membres du corps, qu’il semblait terminer aux pieds, le Prophète ajoute : « Leur gosier ne donne aucun cri », il stimule ainsi l’attention de l’auditeur ou du lecteur, afin qu’en cherchant l’à-propos de cette parole, il comprenne que, non seulement les hommes, mais aussi les bêtes, sont préférables aux dieux des nations ; et que s’il répugne à ces nations d’adorer une bête, à qui néanmoins Dieu a donné l’œil, l’ouïe, l’odorat, le toucher, la marche, et le cri du gosier, on comprenne combien il est honteux d’adorer un simulacre muet, qui n’a ni vie, ni sentiment, et dont les membres, semblables aux nôtres, sont une amorce pour l’âme adonnée aux sens charnels, et qui s’éprend d’une idole comme si elle était vivante et animée, dès qu’elle voit en elle ces membres, qu’elle trouve animés et vivants dans le corps qu’elle habite. Combien les rats, les serpents, et autres animaux semblables, jugent-ils mieux, en quelque sorte, les idoles des nations, si l’osa peut s’exprimer ainsi, puisque, ne trouvant point en elles la vie humaine, ils se mettent peu en peine de leur ressemblance avec l’homme ? Aussi l’on voit souvent qu’ils y font leur nid, et sans le bruit des hommes qui vient les effrayer, ils n’auraient point d’asile plus sûr. C’est donc l’homme qui se remue, pour effrayer une bête vivante et l’éloigner de son Dieu ; et il adore comme une puissance ce Dieu sans mouvement, dont il a éloigné l’animal qui lui était supérieur ! Car il a éloigné une bête qui voyait, d’un Dieu qui ne voyait pas ; une bête qui entendait, d’un Dieu qui était sourd ; une bête qui criait, d’un Dieu muet ; une bête qui marchait, d’un Dieu un mobile ; une bête qui sentait, d’un Dieu insensible ; une bête vivante, d’un Dieu mort, et même pire que s’il était mort. Car, s’il est évident qu’un mort ne vit plus, il est aussi évident qu’il a vécu. Un mort est donc bien préférable à un dieu qui n’a aucune vie, qui n’a jamais vécu.
3. Qu’y a-t-il de plus évident que tout cela, mes frères bien-aimés ? quoi de plus évident ? Quel enfant, si on l’interroge, qui ne réponde que e les idoles des nations ont des yeux et « ne voient point, une bouche et ne parlent point », et tout le reste qu’ajoute le Psalmiste ? Pourquoi donc ce soin que prend l’Esprit-Saint de nous enseigner tout cela en plusieurs endroits de l’Écriture, comme si nous ne le savions point ; sinon parce que cette figure extérieure des membres que nous sommes accoutumés de voir vivante chez les êtres animés, et de sentir vivante en nous,

  1. Ps. 113,5-7