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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/638

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quoique faite, comme ils l’avouent, pour servir d’idole, et posée à ce sujet avec éclat dans un lieu élevé, ne laisse pas, lorsque nous la voyons adorée avec un profond respect par la foule, de faire naître en chacun de nous une affection vile et erronée, qui nous fait croire qu’il y a là une puissance cachée, puisque l’on ne voit dans cette idole aucun signe de vie ? Alors la forme séduisante, l’impression produite par l’autorité de quelques faux sages qui les ont établies, des foules qui les ont adorées, nous fait croire qu’une statue qui ressemble si bien au corps vivant, n’est point sans un être vivant qui l’habite. C’est ce penchant des hommes qui porte les démons à s’emparer des idoles des Gentils, et sous leur influence l’erreur se multiplie à l’infini avec ses poisons mortels. C’est contre ces erreurs que les saintes lettres nous prémunissent en tant d’endroits, de peur qu’en face de ce culte dérisoire, quelqu’un ne vienne dire : Ce n’est point l’idole visible que j’adore, mais la puissance invisible qui l’habite. L’Écriture, dans un autre endroit, condamne ainsi ces mêmes puissances : « Les dieux des nations sont des démons, mais le Seigneur a créé les cieux[1] ». Et l’Apôtre nous dit aussi : « Non que l’idole soit quelque chose, mais comme les sacrifices des nations s’offrent aux démons et non à Dieu, je ne veux point que vous ayez part avec les démons[2] ».
4. D’autres croient avoir un culte pins pur, parce qu’ils disent : Ce n’est ni la statue, ni le démon que j’adore, mais je vois dans cette forme corporelle le signe de l’objet que je dois adorer. Ils assignent donc une signification à chacune de leurs statues, en sorte que l’une est le symbole de la terre, de là le nom de temple de la terre, templum telluris; l’autre de la mer, comme la statue de Neptune ; celle-ci de l’air, comme celle de Junon ; celle-là du feu, comme celle de Vulcain ; une autre de Lucifer, comme celle de Vénus ; une autre du soleil, une autre de la lune, dont les statues portent les mêmes noms, comme celle de la terre ; une autre de tel ou tel astre, telle ou telle créature, car nous ne pouvons tout énumérer. Mais pressez-les de nouveau, et reprochez-leur d’adorer des corps, et principalement la terre, la mer, l’air, le feu, dont l’usage nous est ordinaire (car en ce qui regarde les corps célestes, comme ils sont hors de notre portée, et que nous ne pouvons les atteindre que par le rayon visuel, ils n’en rougissent pas tant), ils oseront bien vous répondre qu’ils n’adorent point des corps, mais bien les divinités qui y président. Un seul arrêt de l’Apôtre nous montre quelle sera la peine et la condamnation de tous ces hommes : « Ils ont changé », dit-il, « la vérité de Dieu en mensonge, ils ont honoré et servi la créature plutôt que le Créateur, qui est béni dans les siècles »[3]. Dans la première partie de cet arrêt, en effet, l’Apôtre condamne les idoles, et dans la seconde le sens qu’on leur attribue. Donner à des ouvrages qu’a travaillés l’ouvrier, les noms des choses que Dieu a faites, c’est changer en mensonge la vérité de Dieu ; mais regarder ces choses comme divines et les adorer, c’est servir la créature plutôt que le Créateur qui est béni dans les siècles.
5. Mais où est l’homme qui adore ou qui invoque une idole, et qui n’est point disposé à croire qu’il en est écouté, à espérer que cette idole lui accordera ce qu’il désire ? Des hommes donc, engagés dans ces sortes de superstitions, tournent souvent le dos au soleil pour prier devant une statue qu’ils appellent soleil ; et quand ils entendent derrière eux le mugissement de lamer, ils s’imaginent que la statue de Neptune, qu’ils prennent pour la mer, entend leurs sanglots. Tel est l’effet produit, ou plutôt extorqué en quelque sorte par cette conformation des membres. L’esprit qui vit dans les sens du corps est plus porté à croire qu’il y a du sentiment dans un corps semblable au corps qu’il habite, que dans le soleil dont la forme est ronde, et que dans l’étendue des eaux, et dans ce qui n’est pas circonscrit dans ces lignes qu’il a coutume de voir chez les êtres vivants. C’est pour détruire ce penchant, auquel tout homme charnel se laisse prendre si facilement, que la sainte Écriture nous dit dans ses cantiques des choses très connues, afin de nous les rappeler et de stimuler nos esprits qui s’endorment si facilement dans la routine des corps visibles. « Les idoles des nations », dit-elle, « sont de l’argent et de l’or ». Mais c’est Dieu qui a créé l’argent et l’or. « Ce sont là des œuvres faites de mains d’hommes ». Car ils adorent ce qu’ils ont fait eux-mêmes avec de l’or et de l’argent.
6. Il est vrai que nous-mêmes, nous avons

  1. Ps. 95,5
  2. 1 Cor. 10,19-20
  3. Rom. 1,25